Entretiens // Festival Saint-Germain-des-Près Baudelairien dernier éclat d’insoumission à un siècle avili

Festival Saint-Germain-des-Près Baudelairien dernier éclat d’insoumission à un siècle avili

Jan 10, 2010 | Commentaires fermés sur Festival Saint-Germain-des-Près Baudelairien dernier éclat d’insoumission à un siècle avili

Rencontre avec Isée St. John Knowles


Isée St. John Knowles, Fellow of the Royal Society of Arts, est né à Saint-Germain-des-Prés en 1952. Il reçoit une formation musicale au Conservatoire National Supérieur de Paris, puis philosophique et littéraire à Pembroke College, Oxford. Parmi les Baudelairiens qu’il côtoie en ce temps-là figurent les derniers dépositaires d’une tradition particulière à Saint-Germain-des-Prés : l’art de dire la poésie de Baudelaire d’après les préceptes recueillis en héritage par ceux qui avaient entendu la voix du poète. Initié à cet art, il unit sa destinée à la vie de la Société Baudelaire, instituée à Saint-Germain-des-Prés en 1872 sous la présidence de Catulle Mendès.

Auprès de Sartre et de Simone de Beauvoir, il combattra contre l’extinction de cette Société. En 1987, sous l’égide d’universitaires d’Oxford, il instaure à Chester, Angleterre, un musée consacré aux Fleurs du Mal à dessein de réhabiliter la mémoire de l’épopée baudelairienne de Saint-Germain-des-Prés. Ses entretiens avec l’ancien président de la Société Baudelaire, Limouse, sur la lecture sartrienne des Fleurs du Mal paraîtront prochainement.

Pourriez-vous nous proposer une définition de ce qu’étaient les Baudelairiens à l’époque où vous les fréquentiez ?

« Ce sont des écrivains et des artistes libertaires, c’est-à-dire des personnes sans argent mais très riches par ailleurs car elles avaient un idéal qui les nourrissait. Elles avaient un humour caustique, ne supportaient pas la prétention et tout ce qui était artificiel. Elles défendaient des valeurs baudelairiennes, comme le dandysme, titre de la première pièce du Festival. Baudelaire disait, « Le dandysme, c’est le dernier éclat d’héroïsme dans la décadence », une valeur qui va au-delà de l’élégance vestimentaire que l’on associe toujours à cette représentation du dandysme. C’est une philosophie, une force qui défend l’autonomie de la pensée. Vous osez ne pas penser comme les autres ce qui n’est nullement le cas du Saint-Germain-des-Prés d’aujourd’hui. Mais la meilleure façon de les découvrir c’est de les voir sur scène. Les Baudelairiens ont une dimension poétique comme le personnage du chiffonnier, ou des vieilles dames qui vous rappellent des poèmes de Baudelaire. Les âmes immortelles que Baudelaire a créé dans « Les Fleurs du mal », je les ai fait revenir sur scène et en ma qualité de metteur en scène, j’ai leur ai construit un espace car ce sont des âmes héroïques et fulgurantes. »

Quel est le rôle de la Fondation Baudelaire aujourd’hui ?

« Le siège social de la Fondation est à Paris, mais la Fondation se trouve à Londres. Au XIXe siècle, nous étions représentés dans plus de cent villes en Europe et note action consistait à réhabiliter la figure de Baudelaire. Il existait le dictionnaire de la société Baudelaire qui proposait la définition des mots qui avaient illuminé la vision que le poète se faisait de l’humanité. Le but était de définir les mots selon trois critères. Il fallait d’abord dégager les propriétés vitales du mot, un examen qui pouvait durer des décennies. Puis, il fallait faire voyager le mot, c’est-à-dire qu’il devait être défini par l’intercession de la métaphore. Ceci, permettait au mot, d’en vaporiser les contours. Enfin, il fallait arriver à la quintessence du mot qui était elle, résumée en un quatrain. Dans le cadre de la Fondation, nous avons créé un musée à Londres, que j’ai dirigé, consacré aux Fleurs du mal. Les peintures de Limouse y sont en partie exposées. Il a consacré, pour sa part, 70 ans de sa vie a étudier les Fleurs du mal.

Je suis le seul, aujourd’hui, à avoir reçu l’héritage de Baudelaire, que Limouse avait reçu lui aussi, un héritage constitué de documents d’archives des intimes de Baudelaire qui avaient scrupuleusement noté son art de dire la poésie. C’est donc de cet art de dire, dont je suis le dernier héritier, Limouse étant mort. Mais je ne peux pas l’enseigner aux autres, car ce serait s’inscrire dans une démarche de mise en voix parfois trop dévastatrice. »

Vous êtes l’héritier d’un art de dire Baudelaire, comment fonctionnez-vous, en tant que metteur en scène pour le Festival ?

« Pour ce Festival, mon intervention de metteur en scène est symbolique. Comme je vous le disais, je fais revenir sur scène, ces âmes si caractéristiques de la poésie baudelairienne. J’ai donc créé un espace afin de faire revivre ces personnages pour qu’on les redécouvre ou découvre tout simplement. Le véritable metteur en scène c’est Saint-Germain-des-Prés, ce n’est pas moi, c’est ce quartier qui a fait grandir ces personnages. Je me contente de faire revivre la chose. Les comédiens avec lesquels je travaille sont absolument remarquables et je ne leur transmets pas cet art de dire Baudelaire comme je le sais, car il ne le pourrait pas le faire. Il faut avoir vécu dans l’intimité de Baudelaire pour comprendre et s’approprier cette façon de dire sa poésie. Les comédiens ont donc leur manière de dire Baudelaire, qui est excellente. Le Baudelaire que nous défendons au cours de ce festival, est celui du poète visionnaire, celui qui avait deviné l’avilissement des cœurs que le poème « Les soirs du vingtième siècle » évoque clairement. C’est aussi du poète libre dont nous parlons dans le deuxième spectacle du Festival (Saint-Germain-des-Prés poète). Nous mettons en relief le lyrisme de la pensée propre à la poésie baudelairienne. Chaque moment de votre vie est vécue avec une telle intensité que ce moment crée sa propre éternité. Vivre cette intensité, c’est ouvrir la porte à l’imagination pour se libérer de la tutelle de la réalité. »

Festival Saint-Germain-des-Prés Baudelairien dernier éclat d’insoumission à un siècle avili. Ce sous titre fait-il référence à notre société docile et particulièrement formatée ?

« La pensée est relayée par les médias, ce qui est affligeant car on décourage l’indépendance de la pensée. Dans le Festival, il y a des personnages du peuple qui en symbolisent l’art alors que l’image que l’on donne du peuple aujourd’hui est lamentable. Henri Barbusse, qui était membre de la société Baudelairienne, était un homme du peuple, mais c’était quelqu’un de très cultivé qui avait une vision grandiose de l’humanité. Aujourd’hui, l’image du peuple que l’on propose, est celle d’une jeune fille ou d’un petit garçon que l’on sort d’une émission de télé réalité et à qui l’on fait croire à des talents inexistants. L’effet pervers de ce système est de faire croire qu’il en est de même pour tous ceux qui regardent ce genre d’émission. Alors que ce n’est pas ça le peuple, ce n’est pas une bande d’imbéciles. Ce phénomène est scandaleux et tellement anti-baudelairien qu’il est une insulte au peuple. Pour nous, l’homme du peuple représente quelques chose qui a une très grande valeur alors qu’aujourd’hui, on se moque de lui.

Aujourd’hui, Saint-Germain-des-Prés n’existe plus et qui peut représenter cette force d’opposition qu’incarnent les Baudelairiens ? Ce pourquoi ce Festival Baudelairien est le dernier éclat d’insoumission. Même si des auteurs de chez Grasset ou Gallimard écrivent des choses très intelligentes, ils sont soumis à des pressions d’ordre financières qui les soumettent au diktat de la célébrité et l’on obtient, une fois de plus, le fruit d’une pensée formatée par la société. Il faut redonner à Saint-Germain-des-Prés, la conscience de sa destinée, celle de l’opposition, de l’insoumission, de l’indépendance de la pensée et puis aussi donner aux rêves des opprimés plus de réalité. »

Bruno Deslot

Festival Saint-Germain-des-Prés Baudelairien
dernier éclat d’insoumission à un siècle avili
écrit et mis en scène par Isée ST.John Knowles
SAINT-GERMAINDES-PRÉS DANDY MERCREDI 13, JEUDI 14 ET SAMEDI 16 JANVIER À 19H
En 1957, les artistes de l’Akademia Raymond Duncan s’apprêtent à célébrer le centenaire des Fleurs du Mal sur le thème du dandysme, en hommage aux Baudelairiens de Saint-Germain-des-Prés qui, face à l’oppression, ont manifesté leur attachement profond à la liberté.
Ainsi, un ami de Proust choisit de croire à l’innocence de Dreyfus, quitte à « se déshonorer aux yeux des autres » ; la fille du président de la Société Baudelaire, tué sous l’Occupation, décide d’outrepasser l’interdiction faite aux artistes juifs d’exercer leur profession en demandant à son amie, destituée de sa dignité par une étoile jaune, de l’accompagner au piano lors d’un récital donné à l’Akademia ; Sartre condamne l’autoritarisme soviétique qui aliène la liberté des peuples, mais dans le même temps, s’en rapporte à Baudelaire pour n’infliger aucune atteinte à l’idéal qui
l’inspire encore. Cette force d’âme que rien n’a pu fléchir galvanise l’action de cette pièce satirique et magnifie le souvenir du village mythique de Saint-Germain-des-Prés.
SAINT-GERMAINDES-PRÉS POÈTE MERCREDI 13, JEUDI 14 ET SAMEDI 16 JANVIER À 21H
En 1936, Mademoiselle Chanel est invitée par la Société Baudelaire de Saint-Germain-des-Prés à concevoir un défilé de mode sur Les Fleurs du Mal. Mais devant les tentatives de contrôle d’une aristocrate antisémite qui se sert du défilé pour la compromettre, Chanel prend la décision d’annuler l’événement. En 1988, Sylvie, un jeune modèle pose devant le peintre Limouse pour un poème érotique des Fleurs du Mal. Alors que le peintre et président de la Société Baudelaire la questionne sur sa vie, la jeune femme fond en larmes et la séance de pose prend une tout autre tournure. Sylvie se confie et raconte à Limouse comment elle a rencontré l’un de ses amis, Roland. Grâce à ce jeune Baudelairien, elle s’était forgée une existence nouvelle comme mannequin et muse dont la prestance, sur les podiums de maison de couture, avait fait revenir à l’esprit de Roland les inspiratrices des plus beaux poèmes d’amour de Baudelaire. Elle avoue aussi à Limouse qu’elle a transmis à Roland un virus incurable.
Le défilé crée désormais une passerelle entre un sujet d’inspiration pour Chanel et l’avenir idéalisé par Baudelaire que Limouse promet à Sylvie. Le cinéma se rapproche de l’action théâtrale pour accompagner l’héroïne « sur la mer des Ténèbres » jusqu’à l’ultime étape de son voyage, celle de sa libération et de sa réunion avec Roland.
SAINT-GERMAINDES-PRÉS REBELLE VENDREDI 15 JANVIER À 21H
Jean-Louis Barrault retrouve Limouse à la hâte. Il apprend, entre autres, le saccage des archives de la Société Baudelaire à dessein de faire disparaître quelques dossiers sensibles incriminant d’anciens collabos.
En souvenir de Sartre qui s’était élevé contre cette spoliation, Barrault propose une riposte. Avec Limouse, le président de la Société Baudelaire qui a consacré sa vie de peintre à l’interprétation des Fleurs du Mal, il forme le projet d’un récital mettant en scène une lecture sartrienne des
poèmes de Baudelaire. S’instaure alors une alliance entre le théâtre, la poésie, la peinture et la musique pour soutenir une pensée qui, fidèle à la tradition séculaire de Saint-Germain-des-Prés baudelairien, prône
l’offensive contre l’oppresseur et la délivrance des opprimés.
Du 13 au 16 janvier 2010
Théâtre Mouffetard
73 rue Mouffetard
75005 Paris
www.theatremouffetard.com

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