Gerda’s room © Dimitri Dubinnikov
ƒƒƒ article de Corinne François-Denève
En cette année 2021 se tient la 21e édition du festival international des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières. L’année marque aussi le 60e anniversaire de ce festival, fondé en 1961 par Jacques Félix ; et la première année à sa tête de Pierre-Yves Charlois, tout nouveau directeur, qui succède à Anne-Françoise Cabanis. C’est aussi les 40 ans de l’Institut international de la Marionnette, et les 30 ans du Grand Marionnettiste… Autant d’occasions de fêter la renaissance tant espérée du théâtre de marionnettes, après une éprouvante année. Cette édition se veut à la fois une récapitulation et un mouvement vers l’avenir : dans la programmation, on retrouve « les pionniers », « la relève » et « la nouvelle vague ».
Charleville-Mézières, en septembre, devient l’Avignon des marionnettistes : foule qui se presse sur la Place Ducale, avec enfants en grand nombre, montés sur d’étranges machines, déambulations d’échassiers à la face poudrée, guignols à tous les coins de rue, grand marché où l’on peut faire l’acquisition de vieilles marionnettes ou de peluches animées… Le Festival, qui se déploie dans un grand nombre de lieux en ville et en périphérie, à grand renfort de navettes, de pancartes et de bénévoles (et de gel hydro-alcoolique) a aussi son Off, et son appli, extrêmement pratique… La foule revenue s’agite sous le patronage sans doute un peu ironique du héros local malgré lui, Arthur Rimbaud, dont les textes s’affichent sur les façades. Le public, qui court sous les « mesquines pelouses » de Charleville, de spectacle en spectacle, peut même aller lui rendre visite sur sa tombe.
« International », le festival l’est indéniablement. Dans les longues queues qui se forment devant les salles, les échanges commencent souvent en anglais. « Where are you from ? » « Are you also a puppeteer ? ». En l’espace d’à peine deux jours, nous avons croisé des Polonais, des Allemands, des Suédois… Mais la « langue du monde » est aussi, dans le festival, le français. Des artistes étrangers ont en effet choisi de traduire leur spectacle dans cette langue, pour le festival, à l’image du Théâtre Osobnyak, pour leur Gerda’s Room (spectacle surtitré en anglais) ou de l’Iranienne Sayeh Sirvani, pour son vibrant L’Ivresse des profondeurs, qu’elle dédie à « l’Afghanistan ».
Festive, l’édition 2021 est aussi grave. Beaucoup de spectacles pensent le monde. Ils sont souvent « conceptuels ». Ainsi, la jeune compagnie Za ! réfléchit aux assignations dans A ta place. Sortant de tiroirs, se réfugiant dans des caisses, une petite fille à son premier jour de collège, un glaneur, un marcheur… se posent la question de leur place dans le monde. Le propos est encore un peu décousu, comme composé de fragments de travail mis bout à bout, mais indubitablement prometteur et généreux. La réflexion sur la « carte » dans Bouger les lignes Histoires de cartes est autrement plus réussie. Le spectacle est limpide, et suit une magnifique ligne claire pleine d’humour et de tendresse, portée par quatre jeunes comédiens à la fraîcheur superbe.
Les voyages dans le corps humain sont également prisés, et connaissent des fortunes diverses. Dans Le nécessaire déséquilibre des choses, la compagnie Les Anges au plafond propose de partir, avec Roland Barthes comme guide, à la recherche des mécanismes du désir et de l’amour. Se déploie une heure quarante-cinq de scénographies fastueuses, parfois absconses, mais toujours impeccables, et heureusement trouées par des moments de jeu remplis de dérision et d’humour (on notera sur la scène la présence d’un clitoris géant ; tant d’interrogations actuelles sont donc résolues : ce fameux clitoris si difficile à trouver, il est sur les planches des théâtres français). Du côté de J’entends battre son cœur, tout est en revanche dans le dispositif. « Vous ne vivrez plus jamais vos échographies de la même façon » aurait pu être le slogan… La compagnie Créature/Lou Broquin a imaginé des hamacs où le public peut se lover en position fœtale, ou des fauteuils rosacés et molletonnés dans lesquels le même public peut s’enfoncer. Forme de théâtre immersif, donc, pour laquelle il nous est donné à entendre les états d’âme et de corps d’une femme enceinte, tout au long de ses neuf mois de grossesse, tandis que passent devant nous diverses créatures recouvertes de matières diverses. Puis la femme accouche, et nous on sort aussi. Le spectacle est à déconseiller aux claustrophobes, « paranges », endeuillés et autres traumatisé.e.s de la PMA. Il ne dit pas grand chose d’original sur cette « merveilleuse aventure » (hormonale), et un passage agréable dans un hamac, après une journée harassante, ne fait sans doute pas un spectacle.
Il y a des enfants aussi, dans L’Ivresse des profondeurs. Mais ici le spectacle, d’une grande poésie, fait entendre une très belle et émouvante mélopée. De l’onirisme délicat, il y en a aussi à foison dans Ici et là de la compagnie La Main d’Œuvre, magnifique théâtre de petits objets, plein de magie. Et évidemment aussi dans Gerda’s Room, splendide conte russe qui fait se croiser Dostoïevski et Shakespeare.
Enfin, Natchav recueille une ovation debout. Ce théâtre d’ombres, sans paroles, est une histoire de cirque, d’acrobates, de singe projectionniste, et aussi de policiers poulets. Il montre des CRS casqués et à matraque, des violences policières, une détention arbitraire. Le finale, gracieux et malin, est applaudi avec force – le public n’aimera jamais Gnafron. De son côté, la compagnie a décidé de faire suivre son spectacle d’un texte lu, contre le pass sanitaire, et de souligner leur inconfort quant à la situation présente : se soumettre (au pass) ou se démettre (des rencontres avec le public, donc, de leur métier et de leur passion).
Il n’a été possible de voir qu’une infime minorité de spectacles. On ne peut que souhaiter que ce festival, riche de spectacles et de propositions, et riche tout court, fête bientôt ses 100 ans, les marionnettes guidant notre chemin au milieu des folies du monde.
Bouger les Lignes © Raynaud De Lage
Festival International des Théâtres de Marionnettes
B.P.249 – 25 rue du Petit Bois
08103 CHARLEVILLE-MÉZIÈRES Cedex – FRANCE
03 24 59 94 94
Le festival dure du 17 au 26 septembre 2021
www.festival-marionnette.com
Spectacles vus et chroniqués (17-19 septembre 2021)
Gerda’s Room, Théâtre Osobnyak
Dès 10 ans – français surtitré en anglais
Théâtre de papier, objets, magie
Mise en scène : Yana Tumina
Interprétation : Alisa Oleinik, Evgenii Filimonov
Création sonore : Iurii Leikin
Création lumière : Vasilii Kovalev
Costume : Anis Kronidova
Scénographe : Kira Kamalidinova
Durée : 1 h 30
Natchav, Les Ombres portées
Dès 8 ans – Sans texte
Théâtre d’ombres, musique
Conception, réalisation : Les Ombres Portées
Manipulation, lumières (alt.) : Margot Chamberlin, Erol Gülgönen, Florence Kormann, Frédéric Laügt, Marion Lefebvre, Christophe Pagnon et Claire Van Zande
Musique, bruitages (alt.) : Séline Gülgönen, Jean Lucas, Simon Plane, Lionel Riou
Lumière (alt.) : Nicolas Dalban-Moreynas, Thibault Moutin
Son (alt.) : Frédéric Laügt, Corentin Vigot, Yaniz Mango
Costumes : Zoé Caugant
Bruitages : Léo Maurel
Avec l’aide de : Baptiste Bouquin, Jean-Yves Pénafiel
Spectacle dédié à Olivier Cueto, membre de la compagnie décédé en mars 2020. « Il a imaginé, créé et joué ce spectacle avec nous jusqu’au bout. »
Durée : 1 h
L’Ivresse des profondeurs, Sayeh Sirvani
Dès 12 ans – Français / Persan
Conte, costumes, marionnettes
Mise en scène, scénographie, construction : Sayeh Sirvani
Écriture : Mahmoud Ahadinia, Leyla Hekmatnia
Traduction & adaptation : Sayeh Sirvani, Coraline Charnet
Assistanat mise en scène et aide à la dramaturgie : Coraline Charnet
Regard extérieur : Nicole Mossoux
Création sonore : Alex Derouet
Création lumière, technique : Antoine Lenoir
Composition musicale : Parva Karkhaneh
Traduction Anglais : Teresa Ondruskova
Durée : 1 h
A ta place, Compagnie Za !
Dès 10 ans – Français
Marionnettes et dessins projetés en direct
Conception et mise en scène : Vera Rozanova
Texte : Christophe Moyer
Construction des marionnettes : Lucas Prieux, Vera Rozanova, Thais Trulio et Eve Bigontina
Création vidéo, régie vidéo et jeu : Yasmine Yahiatène
Manipulation et jeu : Eve Bigontina et Thaïs Trulio
Construction de la scénographie : Lucas Prieux
Création sonore : Thomas Demay
Création lumière et régie : Romain Le Gall
Regard extérieur : Séverine Coulon
Regard sur la dramaturgie : Sylvie Baillon
Costumes : Lucile Réguerre
Soutien et développement numérique : Samy Barras
Durée : 1 h
Bouger les lignes Histoires de cartes, Compagnie de l’Oiseau-Mouche et Compagnie trois-six-trente
Dès 10 ans – Français
Théâtre d’objets, techniques diverses
Mise en scène : Bérangère Vantusso
Mise en peinture : Paul Cox
Écriture et dramaturgie : Nicolas Doutey
Interprètes de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche : Mathieu Breuvart, Caroline Leman, Florian Spiry, Nicolas Van Brabandt
Collaboration artistique : Philippe Rodriguez-Jorda
Scénographie : Cerise Guyon
Création lumières : Anne Vaglio / Création sonore : Géraldine Foucault Création costumes : Sara Bartesaghi Gallo assistée de Simona Grassano Accompagnement : Juliette Cartier, Elora Decoupigny, Macha Menu, Josseline Stefani, Justine Taillez
Direction technique : Greg Leteneur
Régie générale, lumière : Jean-Baptiste Cousin, Greg Wailly
Renfort technique : Julien Bouzillé, Julien Hoffmann, Grégoire Plancher Construction : Artom
Régie Générale : Grégoire Plancher, Blaize Cagnac
Régie son : Greg Wailly, Samuel Allain
Durée : 1 h 30
Le Nécessaire Déséquilibre des choses, Compagnie Les Anges au Plafond
Dès 13 ans – Français
marionnettes portées, musique
Avec : Camille Trouvé et Jonas Coutancier
Images en direct : Amélie Madeline et Vincent Croguennec (en alternance)
Homme-échelle : Philippe Desmulie
Quatuor à cordes : Jean-Philippe Viret, Mathias Lévy, Maëlle Desbrosses, Bruno Ducret
Mise en scène : Brice Berthoud, Marie Girardin
Dramaturgie : Saskia Berthod
Composition musicale : Jean-Philippe Viret
Scénographie : Brice Berthoud, Adèle Romieu
Marionnettes : Camille Trouvé, Jonas Coutancier, Amélie Madeline, Séverine Thiébault et Caroline Dubuisson
Costumes : Séverine Thiébault
Son : Antoine Gary, Tania Volke
Lumière : Brice Berthoud avec Louis de Pasquale
durée : 1 h 45
Ici et là, Compagnie La main d’œuvres
Dès 3 ans – Sans texte
Objets, images et sons
Conception, scénographie, sons-chants et jeu : Katerini Antonakaki
Musique : Ilias Sauloup
Création images et scénographie visuelle : Olivier Guillemain
Interprétation sonore et régie : Christine Moreau
Durée : 45 minutes
J’entends battre son cœur, Compagnie/CRÉATURE
Dès 10 ans – Français
Théâtre de matières et marionnettes habitées
Conception, mise en scène : Lou Broquin
Texte : Henri Bornstein
Avec : Sonia Belskaya, Julien Le Cuziat, Guillaume Herrmann, Christophe Ruetsch
Assistante à la mise en scène : Ysé Broquin
Musique originale : Christophe Ruetsch / Création lumière, régie : Guillaume Herrmann
Scénographie : Claire Saint-Blancat et Lou Broquin
Conception technique scénographie : Claude Gaillard
Formes animées, objets, costumes : Odile Brisset, Claire Saint-Blancat, Guillaume Herrmann, Lou Broquin
Durée : 50 minutes
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