© Simon Gosselin
ƒ article de Nicolas Thevenot
Vous n’êtes pas dans un avion, mais pourtant l’inquiétude vous gagne lorsque la voix enregistrée vous intime d’éteindre complètement vos téléphones portables qui, sans cela, pourraient mettre en péril le déroulement de la soirée en interférant avec les caméras électroniques. Car il y a dans cette mise en garde comme un succédané de la tragédie qui guette le théâtre : de spectacle vivant à l’humaine grandeur et misère (jusque dans sa bouleversante panne, comprendre : le trou… de texte), il semble progressivement disparaître sous ses divers appareillages techniques de plus en plus nombreux tels les prothèses mécaniques affublant les personnages volontairement amputés de Crash le film de Cronenberg. Mutation qui pourrait finalement réduire le théâtre non pas à une peau de chagrin mais à une machine froide et efficace.
Festen se présente donc comme une adaptation « fusion », pour reprendre un terme culinaire, entre cinéma et théâtre du film culte de Thomas Vinterberg, Prix du Jury à Cannes en 1998 : la scène du théâtre au décor d’intérieur classieux est le plateau de tournage d’un film monté et projeté en direct sur l’écran panoramique qui surplombe cette même scène. Là réside la performance filmique, mettant en exergue dans un montage fluide et précis gros plans de visage, scènes de groupe, et images en mouvement… Il y a de la virtuosité, c’est indéniable, dans cette écriture filmique en live, scrutant l’émotion à fleur de peau des comédiens, exacerbant et surexposant le jeu/je de l’interprète, produisant ainsi ces « monstres » d’affects dont les visages nous parlent avec une puissance décuplée par la magie de leur projection sur un écran.
Cyril Teste n’a pas choisi de nous emmener dans des zones inexplorées de l’image ou de sa production et de sa possible hybridation avec la scène (on pense ici tout à la fois à l’iconoclaste Frank Castorf, ou au poétique et critique Krystian Lupa). Cyril Teste a choisi de fabriquer un film tel que le cinéma et désormais les séries nous en proposent tant, sans s’en démarquer aucunement : en misant sur une narration efficace, une incarnation naturaliste, et une psychologie omniprésente. Il est vrai que le film de Vinterberg ne faisait pas dans la dentelle non plus (une sorte de massacre à la tronçonneuse psychologique), mais on avait espéré de ce projet en venant au 104 ce soir-là qu’il soit justement le lieu d’une expérimentation et d’un questionnement des formes plutôt que d’une reproduction des formes dominantes de notre époque.
L’écran panoramique dévore d’ailleurs très vite le plateau, posant un réel problème plastique à cet espace qui n’a de raison d’être qu’en faire-valoir de l’image qui y est filmée. Bien sûr toute image projetée sur un plateau de théâtre a tendance à vampiriser l’attention et peut déséquilibrer un plateau, mais dans le cas de Festen, il s’agit d’une dévitalisation de l’espace de jeu conduisant à sa progressive non-existence dramatique : la faute probablement au jeu naturaliste dicté par la caméra, mais aussi et surtout à une mise en scène qui n’est jamais pensée pour le regard du spectateur mais seulement pour celui de la caméra.
Festen raconte l’histoire d’un mensonge dans une famille bourgeoise et comment ce mensonge résiste aux assauts de la vérité. Car le mensonge est plus plaisant que la vérité, il sait plaire aux convives car il a l’efficacité de son côté. La vérité, elle, est toujours démunie et fragile, risquée, toujours déplaisante.
Il est alors vertigineux de penser que la forme de ce spectacle reproduit exactement les mêmes mécanismes que ceux qu’il dénonce : l’efficacité et le plaisir. Et lorsque le spectacle s’achève sous un tonnerre d’applaudissements, on se prend à rêver de l’autre spectacle qu’on aurait pu voir : un spectacle plein d’aspérités offrant la troublante vérité de ses comédiens (tous magnifiques d’ailleurs) de plain-pied avec les spectateurs, un spectacle n’imposant pas aux spectateurs sa vision/projection unique et totale, sans échappatoire, comme le font avec tant d’autorité les narrations qui étouffent notre monde moderne.
Festen, mise en scène Cyril Teste
Collaboration artistique : Sandy Boizard et Marion Pellissier
Scénographie : Valérie Grall
Création lumière : Julien Boizard
Chef opérateur : Nicolas Doremus
Cadreurs : Nicolas Doremus, Christophe Gaultier, Paul Poncet ou Aymeric Rouillard
Montage en direct et régie vidéo : Mehdi Toutain-Lopez, Claire Roygnan ou Baptiste Klein
Musique originale : Nihil Bordures
Chef opérateur son : Thibault Lamy
Costumes : Katia Ferreira assistée de Meryl Coster
Avec : Estelle André, Vincent Berger, Hervé Blanc, Sandy Boizard ou Marion Pellissier ou Katia Ferreira, Sophie Cattani ou Sandy Boizard, Bénédicte Guilbert, Mathias Labelle, Danièle Léon, Xavier Maly ou Éric Forterre, Lou Martin-Fernet, Ludovic Molière, Catherine Morlot, Anthony Paliotti ou Théo Costa-Marini, Pierre Timaitre, Gérald Weingand et la participation de Laureline Le Bris-Cep
Du 16 au 19 juillet 2019
Durée 1 h 50
LE CENTQUATRE-PARIS
5 rue Curial
75019 Paris
Billetterie : 01 53 35 50 00
www.104.fr
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