© Sabrina Moguez
ƒƒ Article de Sylvie Boursier
Soit une mère célibataire fauchée qui tente le tout pour le tout, enlever un enfant de riches et demander une rançon. Ajoutez un écrivain poussif qui trouve sur son pare-brise une demande de rançon sans qu’elle lui soit destinée. Vous secouez et voilà un cocktail détonnant. Nos deux paumés vont imaginer un braquage inodore, incolore et potentiellement juteux, un hold-up culturel. Ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on n’a pas d’imagination.
Leïla Moguez et Nicolas Morvan présentent une adaptation percutante du roman de Thomas Gunzig. Ils ont la pêche et ne vous lâchent pas. Feel Good emprunte certains codes au stand-up, le rythme soutenu, l’humour des adresses au public et la causticité. Mais au lieu de décocher un punchline toutes les minutes pour l’audimat, le spectacle témoigne de la violence sociale sur un ton radical. Quand on finit les fins de mois « tout juste », qu’on vit « tout juste », qu’on mange « tout juste » combien de temps peut-on rester dans la légalité ? On se souvient de ce fait divers médiatisé en 1997 qui vit une mère de famille contrainte de voler dans un supermarché pour nourrir ses enfants. Suite à un procès retentissant elle fut relaxée pour « état de nécessité », état « supérieur » qui oblige les mères à nourrir leurs enfants. Le supermarché fit appel du jugement, no comment ! L’argent est au cœur de Feel good avec des moments tragiques, quand par exemple Alice sollicite une amie friquée et s’entend répondre par cette bourgeoise snob, proche parente de la Catherine de Sylvie Joly « On ne peut pas donner de l’argent aux gens comme ça ». Les deux comédiens jouent tous les rôles avec des changements à vue sur un élément de costume.
Ce road movie est haletant « la pauvreté et la misère ne sont pas loin […] il faut rester vigilant, sur le qui-vive […] même vigilant ça ne suffit pas, il y aura toujours un loup prêt à bondir et à vous entraîner avec lui ». On pense à Daniel Blake, le héros du film de Ken Loach, qui court de rendez-vous kafkaïen en commission d’appel pour obtenir une aide. Dans le décor vintage d’une épicerie à l’ancienne, avec une bande son rétro pop et des chansons de Kim Wilde, Tom et Alice vont imaginer une bonne histoire qui commence mal et finit bien « les gens qui ont des vies de riches […] veulent qu’on leur raconte des histoires qui confirment l’état du monde, pas des histoires qui remettent en cause l’état du monde. Parce que le monde leur convient comme il est […] Voilà le principe : le principe c’est qu’en te lisant, ces gens se disent, Ah ! mais je pense exactement la même chose ». Le monde de l’édition est joyeusement étrillé dans deux saynètes cocasses dont on laisse la primeur aux spectateurs.
Arrêtez-vous à la Manufacture des Abbesses et dégustez ce breuvage à la cruauté comique, en prime vous apprendrez à écrire un feel good book selon les recettes qui plaisent aujourd’hui, un best-seller susceptible de se vendre à des centaines de milliers d’exemplaires. Par temps de crise ça peut être utile.
© Sabrina Moguez
Feel Good, d’après le roman de Thomas Gunzig
Adaptation : Leïla Moguez et Nicholas Morvan
Mise en scène et jeu : Leïla Moguez et Nicolas Morvan
Scénographie : Marion Sallaberry et Antoine Brin
Conception sonore et lumière : Soizic Tietto
Musiques originales : Simon Vantheemsche
Du 18 mai au 02 juillet 2022
Du mercredi au samedi à 19 h
Durée du spectacle : 1 h 10
Théâtre de la Manufacture des Abbesses
7 rue Véron Paris 75018
Réservation : 01 42 33 42 03
www.manufacturedesabbesses.com
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