© Héloïse Faure (Photo de répétition)
ƒƒƒ article de Corinne François-Denève
Les pères indignes ont-ils le droit de mourir dans la dignité ? C’est l’histoire d’un père sans doute maltraitant, en tout cas mal aimant, qui, la nuit et le moment venus, se souvient du chemin qui mène chez sa fille, qui a préféré l’oublier, et, dirait-on aujourd’hui, s’est « construite » sans doute bien mal et bien peu, sans lui. Dans un bel appartement bien vide, elle entretient un semblant de vie, rythmé par le travail, et un semblant de relation avec un nommé Ric, qui de temps en temps endosse les peignoirs laissés là par d’autres passants. Mais le mal a dit : l’heure est arrivée, et le père veut que sa fille l’aide – à partir définitivement. Un suicide assisté comme un acte d’amour, pour lui éviter de crever comme pire qu’un chien, pour eux qui ne se sont jamais aimés, ou n’en ont jamais rien dit. Dans la nuit se déroulera ce dialogue extrême. L’alcool, et Ric, se feront les témoins plus ou moins passifs de ce procès à l’issue impossible.
Le texte de Carole Thibaut est, comme on s’y attendait, fort et subtil. Elle dit avoir pensé, en l’écrivant, à Lars Norén ; on peut aussi se souvenir des joutes acerbes et cruelles d’Edward Albee. Pas besoin toutefois du cossu salon d’un universitaire bardé de livres pour mettre en évidence l’animosité plus ou moins feutrée des personnages. Ici, l’espace est épuré, réduit à une diagonale, avec un coin bar, et, plus loin, un canapé de style scandinave ; un couloir figure un lien avec le dehors. Derrière, un fond tout juste délimité par des lignes de néon, qui permet des trouées vers l’extérieur, ou l’imaginaire – qui permet de voir, par exemple, le père qui boit, Rembrandt prolo. La scène, qu’un plafond blanc écrase, figure en quelque mesure l’espace mental de cette anti Electre, dont le passé revient par flashs, au rythme des infrabasses, le père la forçant à une psychanalyse express en lui offrant de lui-même le privilège de le tuer au matin.
C’est en alternance Carole Thibaut ou Valérie Schwarcz qui incarnent la fille ; Mohamed Rouabhi joue Ric. Le rôle du père a été confié à Olivier Perrier, qui retourne pour cette occasion sur les planches. Il est peu de dire que cette apparition, que l’on n’espère pas crépusculaire, mais gage d’ouverture à d’autres lendemains, est symbolique et émouvante. Avec ses Fédérés, Olivier Perrier a porté l’aventure de la décentralisation, et la genèse du Théâtre des Îlets. Le voir revenir en père de Carole Thibaut, directrice du CDN, est un geste fort de transmission – celle d’un père qui a laissé sa « fille » seule jouer, à sa suite, sur les planches de son théâtre – et qu’on n’a pas besoin de tuer.
© Héloïse Faure (Photo de répétition)
Faut-il laisser les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars, de Carole Thibaut
Mise en scène : Carole Thibaut
Scénographie Camille Allain-Dulondel
Création lumières et vidéo Julien Dubuc
Création son Margaux Robin assistée de Karine Dumont costumes Gwladys Duthil
Construction Frédéric Godignon, Sébastien Debonnet, Jérôme Sautereau
Régie générale Pascal Gelmi, Frédéric Godignon
Régie son Pascal Gelmi & Karine Dumont en alternance
Régie lumières Florent Klein & Thierry Pilleul en alternance
Avec Olivier Perrier, Mohamed Rouabhi & en alternance Carole Thibaut & Valérie Schwarcz
Vu le 13 janvier 2021
Théâtre Des Îlets
Espace Boris-Vian
27 Rue Des Faucheroux
03100 Montluçon
Renseignements au 04 70 03 86 18
https://www.theatredesilets.fr
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