© Franck Ferville
ƒƒ article de Denis Sanglard
Faust, chef d’œuvre de Charles Gounod, inspiré de celui de Goethe, à cette différence près que le personnage éponyme de Gounod ne souhaite que la jeunesse au contraire de celui de Goethe qui ne veut que la connaissance absolue. L’irruption du surnaturel, cet accroc au réel, par l’intervention du diable Méphistophélès, inscrit cet ouvrage dans la veine fantastique, appétence propre au XIXème siècle. La mise en scène de Tobias Kratzer se défait pourtant de tout folklore, une volonté affichée d’atemporalité et de naturalisme dans les caractères qui situe l’action dans un milieu urbain dont Paris serait l’épicentre. Ainsi la nuit de Walpurgis se résume curieusement à une promenade à cheval dans la capitale, tranquile et très loin du sabbat traditionnel attendu. Un détail et pas des moindres… lors de l’envol au-dessus de la capitale qui suit le pacte entre nos deux personnages, la cathédrale Notre-Dame s’enflamme au passage de Méphistophélès. Une simple illusion pour illustration du pouvoir potentiel du diable ? Dieu est en effet aux abonnés absents dans cette production qui transpose la scène de l’église dans le métro, accusant la solitude urbaine et probablement le désarroi d’un monde sans dieu qui jette Marguerite dans les affres de la culpabilité sans nul recours.
Tobias Kratzer allège le poids moral et religieux qui imprègne l’ouvrage, propre au très croyant Charles Gounod et aux préoccupations de son siècle, pour se concentrer davantage sur le drame humain traversé par Faust et Marguerite pris en étau entre leur propres aspirations et la morale extérieure. En ce sens l’infanticide, filmé dans toute sa violence insoutenable par un gros plan, résume lapidairement cette ambivalence, cette dualité. Le drame du vieillissement et son refus, auquel s’attache, entre-autre, Thomas Kratzer, est porté intelligement par Dame Marthe, séduite par jeu par Méphistophélès puis rejeté, qui entendant la scène d’amour entre Faust et Marguerite comprend brutalement, défaite et meurtrie, la profonde solitude à laquelle l’âge l’accuse et la condamne.
Il y a bien quelques surprenantes libertés, plus discutables. Ce n’est pas de Faust que tombe enceinte Marguerite mais du diable lui-même, par ce que l’on peut considérer comme un viol sous les yeux impuissants de Faust sidéré. On songe évidemment, référence explicite, à Rosemary’s baby. Siebel enfin, l’amoureux transi devenu l’ami indéfectible de Marguerite, sauve celle-ci de la damnation, prenant sa place en signant à son tour un pacte avec le Diable. Ce qui donne, il est vrai, un peu plus d’épaisseur dramatique à ce personnage un peu falot. Il y a quelque chose de paradoxal et de fascinant de réussir à concilier le spectaculaire et l’intime dans un même mouvement, qui fait la réussite de cette mise en scène pouvant hérisser les puristes par son refus délibéré de toute mystique chrétienne propre à Charles Gounod pour une spiritualité au final laïque, où le diable serait la mauvaise conscience de notre siècle imprégné en chacun.
La direction d’Emmanuel Villaume, aguerri au répertoire français, donne toute la mesure de la partition éclatante de Charles Gounod. Une direction sans défaut qui souligne la subtilité et la richesse d’une partition lyrique qui oscille entre emphase sans pesanteur et retenue extrême. Le charismatique ténor Pene Pati irradie de sa présence et de sa voix solaire le plateau. Voix aux aigus sublimes, une articulation précise de la langue, un engagement total où la voix se plie sans effort au contrainte dramaturgique du rôle et de sa partition à laquelle il ajoute un nuancier de couleurs inouï, c’est un Faust d’une très grande classe, stylé et ciselé, crédible de bout en bout et pour lequel le public a les yeux de Chimène. Contraste saisissant avec la basse Alex Esposito dans le rôle de Méphistophélès. Si la voix belle en soi, au grave profond, ne souffre d’aucun défaut, mais alors que ses partenaires adoptent un jeu naturaliste au plus près d’une réalité psychologique, son jeu outré, à la limite du grotesque et du cliché, sans vraiment de nuance, dessert grandement la crédibilité du personnage. Il donne cette impression étrange de ne pas jouer dans la même mise en scène… La soprano Amina Edris, Marguerite, fait évoluer son personnage avec intelligence qui la voit jeune fille amoureuse s’effondrer au fur et à mesure de la culpabilité qui la ronge, de l’église (enfin le wagon de métro) à la prison. Elle offre une intensité dramatique bouleversante dans son jeu qui n’altère pourtant pas sa voix aux beaux aigus mais capable de grave surprenant, même si parfois l’articulation du français se fait plus difficile. Mais qu’importe cette dernière affirmation. Le couple qu’elle forme avec Pene Pati est d’une belle et réelle complicité qui ajoute à cette représentation une vérité profonde. Et c’est un plaisir de retrouver Marian Viotti, et tant pis si le rôle de Siebel qui lui échoie est ingrat, elle donne a ses courtes apparitions une réelle épaisseur dramatique amplifiée par sa voix aux couleurs toujours chaudes. Le reste de la distribution est au diapason offrant à cette représentation une cohérence tant vocale que dramaturgique. Jusqu’au chœur de l’Opéra national de Paris en pleine forme, lequel fut ovationné à peine terminé l’air « Gloire immortelle de nos aïeux ».
© Franck Ferville
Faust, de Charles Gounod
Livret de Jules Barbier et Michel Carré, d’après l’œuvre de Goethe
Direction musicale : Emmanuel Villaume
Mise en scène : Tobias Kratzer
Décors et costumes : Rainer Sellmaier
Lumières : Michael Bauer
Vidéo : Manuel Braun
Chef des chœurs : Alessandra di Stefano
Orchestre et chœur de L’Opéra National de Paris
Avec Pene Pati, Alex Esposito, Florian Sempey, Amin Ahangaran*°, Amina Edris, Marina Viotti, Sylvie Brunet-Grupposo, Marc Diabira (rôle muet)
*début à l’Opéra national de Paris
°membre de la troupe lyrique de l’Opéra national de Paris
Jusqu’au 18 octobre 2024
Durée 3h42 avec entracte
Opéra Bastille
Place de la Bastille
75012 Paris
Réservation : www.operadeparis.fr
comment closed