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Falstaff, de Giuseppe Verdi, d’après William Shakespeare, mise en scène de Dominique Pitoiset, à l’Opéra Bastille, Paris

Sep 13, 2024 | Commentaires fermés sur Falstaff, de Giuseppe Verdi, d’après William Shakespeare, mise en scène de Dominique Pitoiset, à l’Opéra Bastille, Paris

 

© Sébastien Mathé

 

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

Monstre sacré et sacré monstre Falstaff, de l’or en barre pour un artiste !  Ambrogio Maestri, dans le rôle-titre, arrive à sa 250ème représentation en 20 ans sans se lasser ; comme Orson Wells il pourrait dire « Falstaff, c’est moi » tant il balade sa panse avec maestria sur une palette qui va de la bouffonnerie débridée à la douceur mélancolique du lamento de l’acte III « Va, vieux John, va, va ton chemin, marche jusqu’à ce que tu meures » avec une allure à la Devos.

Sir John Falstaff, un gros homme paillard, séduit deux riches bourgeoises de la ville, Alice Ford et Meg Page, espérant ainsi renflouer ses dettes. Il leur fait porter des lettres d’amour identiques mais elles les comparent et décident de se venger. Les deux laquais de Falstaff, Bardolfo et Pistola, mécontents d’avoir été renvoyés, révèlent au mari de l’une d’elles les projets de leur maître. Tous décident d’infliger une bonne correction au menteur en le roulant dans la farine de ses propres salades. Tel est pris qui croyait prendre.

L’anti pisse froid gargantuesque devient la patate chaude que chacun se renvoie sur un rythme de comédie musicale, on chante même sous la pluie de Windsor tandis que le malheureux John sera balancé dans la Tamise.

On aurait tort de réduire Falstaff à une baudruche, il a un côté don Quichotte « C’est moi, dit-il, dont l’art vous dégourdit ! c’est mon esprit qui fait l’esprit des autres, ma subtilité crée la subtilité des autres ». Falstaff marie les mets et les mots, comme Rabelais, il se repaît de « ragoût de langue », de gros jurons bien gras. Il parle la bouche pleine d’alcool, de saucisses, de mensonges aussi gros que son bide. Ironie du sort, ce paillard sera lui-même transformé en gibier. Il a tenté de faire avaler des mensonges mais ils restent en travers du gosier de ces dames.

La mise en scène de Dominique Pitoiset, avec ses contrastes entre gros et maigres, rappelle le Bruegel du Combat entre Carnaval et Carême. Le duo entre Fastaff et le docteur Cajus, une peau d’anguille sèche de crève la faim, fait mouche à chaque tableau, on dirait la Castafiore dans le magasin de porcelaine d’un professeur Tournesol.

Le décor unique, constitué de grands panneaux coulissants en fond de scène représente tour à tour la façade de l’hôtellerie de la Jarretière et celle de la demeure de Ford, puis l’entrée du Parc de Windsor et un garage. Dominique Pitoiset situe l’opéra de Verdi dans un environnement début de siècle qui rappelle Il était une fois l’Amérique, de Sergio Leone, avec ses escaliers extérieurs de secours, ses voitures collector, ses tavernes, ses hôtels borgnes et ses intérieurs éclairés en clair-obscur qui laissent deviner l’activité fébrile d’un faubourg. Blanchisseries, marchands des quatre saisons, QG de campagne politique, tout baigne par moment dans la fumée des soupentes et la brume du fleuve.

Les lumières de Philippe Albaric et la scénographie du metteur en scène honorent le maître anglais avec un rappel de la fameuse scène du balcon de Roméo et Juliette. Le final a la féerie du Songe d’une nuit d’été avec un Falstaff déguisé en cerf et flagellé par un aéropage de fées.

On est sous le charme de cet opéra à la tonalité mozartienne avec des moments de conversations musicales particulièrement réussies. Olivia Boen, Marie-Nicole Lemieux et Marie-Andrée Bouchard-Lesieur s’accordent avec une facilité déconcertante lors des parlando rapides des trois commères, tandis que la soprane Federica Guida impressionne par sa profondeur de souffle et sa détermination dans le rôle de Nanneta. Les duettistes Nicolas Jones, en Tintin poil de Carotte et Alessio Cacciamani en casquette d’aviateur à la Arizona Dream emportent l’adhésion du public. On avait déjà beaucoup apprécié la vis comica du premier, son timbre clair et bien projeté dans Don Quichotte repris cette année à l’Opéra Bastille. Mais le clou du spectacle reste la fugue finale où tous les personnages sont réunis pour une partition dialoguée sur une marqueterie sonore incroyable. Les falsettos de Falstaff font mouche à chaque fois. Michael Schønwandt   conduit l’orchestre avec un sens du rythme, une souplesse et une légèreté très applaudie aux saluts.

L’Opéra Bastille nous régale pour cette rentrée lyrique, on rit d’émotion dans cette farce douce-amère qui voit un type se faire lyncher par tous les affairistes méprisants du nouveau monde.

Les délires de Sir John parlent à tous ceux dont la part d’enfance se joue d’une prétendue normalité, puisque, conclut-il beau joueur « tout dans le monde est farce, l’homme est né farceur ; dans son cerveau vacille la raison ».

 

© Sébastien Mathé

 

 

Falstaff de Giuseppe Verdi, d’après William Shakespeare sur un livret d’Arrigo Bolto

Mise en scène : Dominique Pitoiset
Décors : Alexandre Beliaev
Costumes : Elena Rivkina
Lumières : Philippe Albaric

Avec : Ambrogio Maestri, Andrii Kimach, Olivia Boen, Marie-Nicole Lemieux, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Federica Guida, Iván Ayón-Rivas, Alessio Cacciamani, Nicholas Jones, Gregory Bonfatti

Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Chef des Chœurs : Alessandro Di Stefano
Direction musicale : Michael Schønwandt

 

Durée : 2h50 avec entracte

Jusqu’au 30 septembre à 19h30

 

Opéra Bastille

Place de la Bastille

75012 Paris

Réservation : www.operadeparis.fr

 

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