ƒƒ Article de Victoria Fourel

© Rebecca Josset

Le corps sportif. Soupir de désespoir. Difficile à obtenir, difficile à maintenir, ridicule, contraignant, faussement sérieux ou faussement noble. Inspiré par Jacques Tati et ses Impressions sportives, Patrice Thibaud dessine dans Fair-Play le portrait de la discipline sportive au sens large. L’occasion d’en défaire les codes et de se moquer de ses faux gagnants et de ses défis de pacotille.

Tout dans Fair-Play fait naître l’imaginaire. Le choix de ne pas charger la scénographie et la création lumière force les comédiens à décomposer chaque attitude de sportif, chaque personnage, et met en avant la précision dans le travail du corps et dans la voix, mais aussi les présences loufoques des deux comédiens. Ce plateau vide mais rempli d’idées rend le tout très drôle et très absurde, notamment lorsque le mime en est le seul occupant, et qu’il ne reste dans un silence absolu, que les rires qui fusent dans le public.

Le sportif et la performance sont des sujets inépuisables pour le comédien, l’imitateur, le mime. Sa technique, son acharnement, son désir d’excellence, tout ça renvoie à la scène, et à la fine frontière entre loisir et profession. Le désir de cultiver le corps, de souffrir, ce besoin de sérieux lorsque le tout peut aussi être très drôle sont autant de choses que le cinéma, la télévision et la scène prennent un malin plaisir à tordre et à distendre. La multitude de personnages incarnée par Patrice Thibaud et Philippe Leygnac, – la majorette, le boxeur retraité, le coureur -, sont autant de caricatures savoureuses, mais aussi de vrais points de vue. Pour exemple, on retient l’apparition sur scène du talentueux Philippe Leygnac, qui, avant de s’installer à son piano, fil conducteur de ce film muet, choisit un parcours d’escalade tortueux pour s’installer sans toucher le sol. Le sport, c’est ça : choisir la discipline, la difficulté, jusqu’à l’absurde, pour être (ou paraître) fort.

On est séduit d’emblée par la technique et la simplicité qu’offre le muet, mais aussi par les deux présences sur le plateau. Totalement opposées, elles forment un duo comique, et sans pour autant chercher à tout prix le sens ou une narration quelconque, sont dans une écoute totale, dans un bel équilibre, pince-sans-rire, et un peu cynique. Passé le moment où l’on est admiratif et hilare, on reconnaît en revanche qu’il est difficile de tenir un spectacle dit « à sketches ». Séparément, l’entraîneur du coureur, ou le cavalier sont de vrais tours de force, des miroirs grossissants d’une réalité formidablement théâtrale. Mais il y aurait eu de l’intérêt dans l’utilisation d’autres médias, d’autres sons, peut-être, pour créer la surprise, et ne pas user la mécanique ronronnante du spectacle. Une fois la performance installée, on peine à retrouver du souffle pour chaque mime, pour chaque chapitre, et ce malgré de beaux moments jusqu’à la fin.

Si Fair-Play est vite la victime de sa forme, il en est peut-être encore davantage un objet théâtral plein de ressources et d’auto-dérision, qui, au moment de l’année où les compétitions sportives se multiplient, nous rappelle que la grâce du sportif est dans le dérisoire, et que le sourire a sa place au sein du corps athlétique.

Fair-Play
Mise en scène Jean-Marc Bihour, Jean-Michel Guérin et Patrice Thibaud.
Avec Patrice Thibaud et Philippe Leygnac
Du 7 juin au 3 juillet
Du mardi au dimanche à 18h30, relâche les lundis et le 12 juin.

Théâtre du Rond-Point
2bis avenue Franklin D. Roosevelt
Métro Franklin D. Roosevelt (lignes 1 et 9) et Champs-Elysées – Clémenceau (lignes 1 et 13)
Réservation 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

Be Sociable, Share!

•