À l'affiche, Agenda, Critiques // Et me voici soudain roi d’un pays quelconque, autour de Fernando Pessoa, par Aurélia Arto et Guillaume Clayssen, mis en scène par Guillaume Clayssen, à l’Echangeur de Bagnolet

Et me voici soudain roi d’un pays quelconque, autour de Fernando Pessoa, par Aurélia Arto et Guillaume Clayssen, mis en scène par Guillaume Clayssen, à l’Echangeur de Bagnolet

Jan 17, 2021 | Commentaires fermés sur Et me voici soudain roi d’un pays quelconque, autour de Fernando Pessoa, par Aurélia Arto et Guillaume Clayssen, mis en scène par Guillaume Clayssen, à l’Echangeur de Bagnolet

 

© Emmanuel Viverge

 

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Comme dans un rêve éveillé, L’Echangeur de Bagnolet accueillait en cette deuxième semaine de janvier les professionnels et la presse avec un café, avant de les conduire dans sa petite salle, pour une représentation de Et me voici soudain roi d’un pays quelconque, création conçue par Aurélia Arto et Guillaume Clayssen autour de Fernando Pessoa. Deux petits miracles en temps de confinement donnant l’impression d’être doublement privilégiés.

Un troisième prodige se produisit sur scène grâce à la comédienne Aurélia Arto, époustouflante de justesse, de précision, de fougue, de délicatesse, offrant un cri d’amour et d’admiration pour le poète portugais, et pour l’art.

D’abord, une femme étrange entre sur le plateau, faussement hésitante dans sa robe noire aux étranges volants, les cheveux en pétard. Pas de doute c’est Pessoa ! Ou l’un de ses doubles…

La caractéristique bien connue de la vie littéraire de Pessoa est d’avoir créé une grande quantité d’hétéronymes. Il vivait et écrivait avec ses doubles, ses amis imaginaires car « nombreux sont ceux qui vivent en nous », ce qui lui permit donc d’habiter à travers ceux (Alberto Caeiro, Alvaro de Campos, Ricardo Reis, ou encore Bernardo Soares) dont il avait écrit les moindres détails biographiques, optant pour des caractères et démarches littéraires très variées (sensationnistes, ésotériques, sceptiques) reflétant ses déchirements intérieurs (qu’il appelle « drame à l’intérieur d’une personne »).

Ces identités successives se manifestent par des changements vestimentaires de la comédienne dont la capacité transformatrice étonne, jouant avec aisance avec quatre panneaux mobiles dotés de miroirs et sur lesquels les beaux éclairages créent des ambiances singulières. C’est une idée de mise en scène qui semble tomber sous le sens, tant elle mène la danse de manière fluide.

La robe devient longue et Aurélia/Pessoa comme juchée sur des échasses, nous assène des fragments de la poésie envoûtante de celui qui se définissait comme un hystéro-neurasthénique. Quand le corps va jusqu’à se mettre à nu, au sens figuré – un collant couleur chair désexualise ce dépouillement – il se déplie jusqu’au bout des doigts, de chaque mèche de cheveux une fois la perruque elle aussi retirée, car Pessoa pense avec ses yeux, ses oreilles, ses sourcils, ses pieds, ses cheveux…

Après un nouveau travestissement en Pessoa-Pessoa (moustache, lunettes, chapeau), l’on glisse toutefois vers une seconde partie, qui nous perd un peu. La folie s’empare vraiment de la comédienne après avoir revêtu une combinaison scintillante sur une musique omniprésente (costume et son qui ne convainquent ni l’un ni l’autre).

Son jeu, sa présence, sa diction restent néanmoins tout à fait impressionnants et ensorcellent le spectateur dans cette langue et ce cheminement de pensée si singuliers. Un seul en scène florissant à l’image de la solitude de Pessoa, paradoxalement si riche.

Comme chez Artaud (l’homophonie avec le patronyme de la comédienne est troublante…), il y a chez Pessoa un savant mélange de vérité, de folie, de profondeur, mais aussi d’humour et d’ironie. Une manière de dire des choses graves ou taboues en se moquant de soi-même ou en tout cas en prenant de la distance.

Les spectateurs privilégiés, troublés, avaient du mal à se quitter après cette heure poétique pleine d’intensité, promesse de jours meilleurs, une fois les temps difficiles remettant en cause beaucoup de nos certitudes, de nos aspirations les plus profondes, derrière nous. Une forme d’intranquillité toute pessoienne…

 

© Emmanuel Viverge

 

 

Et me voici soudain roi d’un pays quelconque autour de Fernando Pessoa

Conception et montage de texte Aurélia Arto et Guillaume Clayssen

Mise en scène Guillaume Clayssen

Scénographie Delphine Brouard

Création lumière Julien Crépin

Création son Cédric Colin

Costumes Séverine Thiébault

Assistanat mise en scène Claire Marx

Production/diffusion En Votre Compagnie (Olivier Talpeart)

Avec Aurélia Arto

 

Durée 1 h

 

 

L’Echangeur,

Petite salle

59 avenue du Général de Gaulle, 93170 Bagnolet

Tournée prévue à ce jour au théâtre des quartiers d’Ivry et au théâtre de Suresnes en mars 2021

 

 

 

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