© Christophe Reynaud de Lage
ƒƒ Article de Victoria Fourel
Ervart va mettre la ville à feu et à sang. Arrêtez de discuter, il va mettre la ville à feu et à sang. Certain que sa femme le trompe, il ne peut faire autrement. Elle peut protester, les autorités peuvent tenter de l’en empêcher. Rien n’y fera. De là l’intrigue se déroule d’apparition en gaffe, de délire en dispute dramatique, au gré de la folie des uns et des autres.
Ce spectacle a pour lui, et ce dès le départ, de ne rien faire à moitié. On rit dès les premières secondes du mari supposément trompé à la rage démesurée, on entre dans un univers où une comédienne peut faire irruption dans l’espoir de se faire embaucher, et où d’autres encore peuvent débouler sur le plateau par erreur. Mise en abyme et scènes d’engueulades qui décoiffent se succèdent, et le décalage est total.
L’idée au plateau est de refléter cette profusion de désordre, par des portes roulantes qui se déplacent sur scène, enfermant ou libérant les personnages. Tout est excessif, mais dans un excès assumé et juste, où les personnages, fous comme tout, méritent d’en avoir l’aspect. Vincent Dedienne sait jouer avec sa propre personnalité tout en apportant une certaine dangerosité. Tous les acteurs portent haut les couleurs de leurs personnages oniriques. Le réalisme ne semble pas avoir sa place ici, et pourtant, au détour d’une scène surgit la tendresse et la mélancolie, comme si, énième blague au public, les personnages eux-mêmes en avaient soudain marre d’en faire trop, et voulaient revenir à eux.
D’une intrigue classique naissent plusieurs autres histoires, infiltration des services secrets par un agent zoophile, enlèvement de comédiens anglais, attentats de Nietzsche à coups de livres, apparition d’un cheval, comédienne embauchée pour être la pute d’Ervart (c’est lui qui le dit.). Si l’on a la faculté de se laisser embarquer, tout est fou mais tout est drôle et doux-amer. On espère pouvoir rire de tout en même temps que l’on n’ose pas vraiment.
On peut évidemment reprocher que le dénouement d’une telle débauche de délire puisse être soudaine et pas forcément facile à justifier. Ou même que le souvenir laissé par le spectacle est davantage fait d’images que d’une seule et même pièce. Ce spectacle n’est pas aisé à raconter tant il pose de questions, et s’avère être maîtrisé et bordélique.
Oui, les deux mots viennent à la bouche tant la direction d’acteurs et l’écriture sont fines, mais tant à la fois, il est difficile d’en ressortir le fil. Ervart est fou, rendu fou par un monde fou ? Peut-être. Est-ce ça qui nous fait rire ? Peut-être aussi.
© Christophe Reynaud de Lage
Ervart, ou les derniers jours de Nietzsche, texte de Hervé Blutsch
Mise en scène Laurent Fréchuret
Collaboration artistique Edouard Signolet,
Assistante à la mise en scène Flore Simon
Scénographie Alain Deroo et Laurent Fréchuret
Lumières Sébastien Combes et Elsa Jabrin
Costumes Colombe Lauriot-Prevosy
Avec Stéphane Bernard, Jean-Claude Bolle-Reddat, James Borniche, Maxime Dambrin, Vincent Dedienne, Margaux Desailly, Pauline Huruguen, Tommy Luminet et Marie-Christine Orry
Du 9 au 13 octobre 2018, du mardi au samedi à 20h
Théâtre de la Croix-Rousse
Place Joannès Ambre
69004 Lyon
Réservation 04 72 07 49 49
www.croix-rousse.com
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