© Mathilda Olmi

ƒƒƒ article de Florent Mirandole

Une atmosphère de fin de règne. C’est l’impression que donne très vite la nouvelle pièce de Vincent Macaigne. Juchée sur une grue élévatrice, madame Burini, à la tête d’une immense collection d’art, s’adresse aux spectateurs réunis devant les portes de la Grande Halle de la Villette comme à un public d’admirateurs venus l’acclamer une dernière fois. Dans un salmigondis de réflexions abruptes, fantasques et mélancoliques, cette collectionneuse déjantée et richissime accrochée à son mégaphone semble se pencher vers nous comme elle contemplerait la fin de sa vie. Les rares accès de colère ressemblent aux derniers signes de révolte d’une gloire en bout de course.

Madame Burini est la porte d’entrée d’En manque. Archétype des parents soixante-huitards, riches, séduisants et désabusés, elle a voulu changer le monde en rendant l’art plus accessible, et a échoué. Plongée dans la mélancolie, elle incarne surtout une génération qui n’a pas su préparer le passage de relai à ses enfants, handicapée par des illusions naïves et tenaces. L’intrigue de la pièce s’arrête à peu près là. Car En manque est d’abord le portrait, au sens littéral, de cette génération d’enfants laissés pour compte, rétrogradée derrière la volonté de sauver le monde de leurs parents à grand renfort de drogues hallucinogènes.

En Manque est ainsi une succession de scènes visuellement incroyables, illustrant tour à tour les errances de ces trentenaires, tentés par le refuge éthylique et l’envie nihiliste de tout bruler. Au milieu des Caravage, Vincent Macaigne crée une avalanche d’ambiances fascinantes et effrayantes, à grand renfort d’artifices sonores et colorés. Noyé souvent dans la fumée, le spectateur voit rapidement tous ses sens contrariés, déboussolés sous les remix techno et les néons à la lumière extatique. Mais la fascination qu’exercent ces scènes est aussi un appât pour mieux pointer du doigt nos faiblesses. On est à la limite de la manipulation.

Car En manque veut d’abord créer un électro-choc, réveiller une génération, celles des enfants de soixante-huitards. Et au besoin Vincent Macaigne joue sur nos reflexes pour les prendre à rebours. Ainsi le moment où les spectateurs se rassemblent sur la scène pour une célébration gratuite de la fête, à grand renfort d’électro et de bière gratuite, ne semble être là que pour mieux démontrer la faciliter à oublier à se perdre dans de petits paradis artificiels. Un personnage enragé viendra d’ailleurs mettre brutalement fin à l’expérience comme pour rappeler la futilité du moment.

Enragé humaniste, pessimiste en révolte, Vincent Macaigne veut d’abord dynamiter les statu quo, s’attaquer à la frilosité et à la frivolité de notre génération pour mieux la réveiller. Est-ce que l’art est encore la solution ? Les Caravage dévastés au mur semblent nous dire non, du moins pas cet art là. Alors où est la voie ? Où est l’espoir ? Les interrogations parfois naïves mais salutaires de la pièce ne donnent de toute façon aucune réponse. Ce qui compte ici, c’est l’expérience, le ressenti, le vécu. Se sentir vivant, s’aimer et se battre. En nous plongeant dans la boue et la douleur, En manque nous oblige à nous révolter, à retrouver notre équilibre pour ne pas sombrer. La méthode n’est pas douce, mais est peut être efficace.

En manque

Texte, mise en scène et scénographie  Vincent Macaigne

Collaboration scénographie  Julien Peissel
Lumière  Jean Huleu
Accessoires  Lucie Basclet
Son  Marianne Pierré
Voix  Matthieu Jaccard
Construction du décor  Ateliers du Théâtre de Vidy
Régie générale  Sébastien Mathé
Assistanat mise en scène  Salou Sadras, Jérôme Chapuis (stagiaire)
Administration Cie Friche 22.66  AlterMachine / Camille Hakim Hashemi & Elisabeth Le Coënt

Avec Evrard Thibaut, Liza Lapert, Clara Lama Schmit, Sofia Teillet alias Billie Roque

La Villette
Grande Halle
211 avenue Jean Jaurès
75019 Paris

Réservations 01 40 03 75 75
www.lavillete.com

Réservations Théâtre de la Ville 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com

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