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En attendant Godot, de Samuel Beckett, mise en scène d’Alain Françon, à La Scala

Fév 05, 2023 | Commentaires fermés sur En attendant Godot, de Samuel Beckett, mise en scène d’Alain Françon, à La Scala

 

© Jean-Louis Fernandez

 

fff article de Denis Sanglard

Que dire quand une création atteint à ce point une certaine idée de la perfection ? Quand une pièce, En attendant Godot, dont on croyait avoir fait le tour, connue et reconnue, vue un grand nombre de fois, soudain vous bouleverse net par un sentiment nouveau, l’impression étrange et malaisante d’être au final passé à côté. Ça, par la grâce d’un metteur en scène et de comédiens virtuoses qui, s’ils n’offrent pas une nouvelle lecture, apportent une profondeur bouleversante dans leur approche des personnages que l’on croyait pourtant familiers. Vladimir et Estragon, ces clochards célestes, ces clowns métaphysiques, Sisyphe contemporains qui n’en finiront jamais d’attendre Godot, ici respectivement Gilles Privat et André Marcon, tous deux au sommet de leur art. Dirigés avec minutie maniaque par Alain Françon ils sont, chacun dans leurs rôles, phénoménaux. Mieux même, ils forment ici plus qu’un duo, un couple d’une rare et tendre complicité, d’une profonde humanité puante et dépenaillée qui marqueront sans doute de leur empreinte l’interprétation de nos deux va-nu-pieds camusiens. Alain Françon, respectant à la ligne les didascalies exigeantes et tyranniques de Samuel Beckett, trouve dans ces deux-là matière à s’extraire des contraintes obligées de l’auteur. Et loin d’attirer l’œuvre à lui par force, humblement et comme à son habitude il l’exhausse et lui rend toute sa pertinence dramatique et son insolence poétique, entre tragédie et burlesque. D’André Marcon et de Gilles Privat, mais aussi de Guillaume Lévêque (Pozzo), d’Éric Berger (Lucky) et d’Antoine Heuillet (Un garçon), il extrait un nuancier de jeu miraculeux et d’une rare et grande subtilité. Dans ce lieu aride et désert, dans cette attente infernale et têtue qui enferment nos deux vagabonds, entre le « Rien à faire » du début et le « Allons y » irrésolu de la fin, c’est un condensé de vies distillées, concentrées qui explosent à bas-bruit, pathétiques et grandioses tout à la fois. C’est dans les dialogues, jamais vraiment banals malgré leur quotidienneté ordinaire apparente dans l’œuvre de Samuel Becket, cette conversation à bâtons presque rompus que peine à trouer le silence, pour dire son existence au monde et cette peur qui vous fouaille devant le vide de cette existence même, que la mise en scène est à son apogée. C’est ça qui est aussi mis en scène brillement, ce dialogue inquiet et volubile, véloce et impromptu mais toujours réitéré et qui fait solidement, indéfectiblement lien. Cette œuvre-là s’écoute comme elle s’entend et André Marcon, Gilles Privat, Guillaume Lévêque et Éric Berger s’emparent de cette parole singulière à laquelle ils donnent, comme ils y trouvent, une incarnation qui poigne par sa juste et troublante vérité. Tout prend et fait sens, l’œuvre s’ouvre à nous dans sa complexité factuelle, cette comédie humaine désespérée d’une cruelle et absurde bouffonnerie existentielle. Hors la parole, c’est aussi dans la relation indéfectible et conflictuelle, ambivalente, entre les personnages, particulièrement Vladimir et Estragon, qu’Alain Françon construit sa mise en scène et le lien immarcescible qu’il crée entre chacun dans sa rudesse comme sa tendresse, qui atteint là aussi un sommet, par la magie des deux interprètes qui s’emparent de leur personnage avec une empathie certaine où vivre à travers l’autre n’est pas ici qu’une simple métaphore entre ces deux comédiens. C’est du théâtre comme on en rêve, où la mise en scène  n’occulte jamais le sens profond du texte, l’accompagne et le révèle, où les acteurs sans se départir de leur mystère cristallisent et subliment ici la condition humaine dans ce qu’elle a de tragique et de grotesque.

 

© Jean-Louis Fernandez

 

En attendant Godot, texte de Samuel Beckett

Mise en scène : Alain Françon

Avec : Gilles Privat, André Marcon, Guillaume Lévêque, Éric Berger, Antoine Heuillet

Dramaturgie : Nicolas Doutey

Assistante à la mise en scène : Franziska Baur

Décor : Jacques Gabel

Lumière : Joël Hourbeigt

Costumes : Maria La Rocca

Collaboration chorégraphique : Caroline Marcadé

Maquillages, coiffures : Cécile Kretschmar

 

Du 3 février au 8 avril 2023

Les mardis et samedis à 21h, le dimanche à 17h

Représentations supplémentaires le 11 mars et le 8 avril à 15h

Relâche le 26 mars

 

La Scala Paris

13, bd de Strasbourg

75010 Paris

 

Réservations : 01 40 03 44 30

www.lascala-paris.com

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