© Laurencine Lot
ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Deux raisons nous conduisaient à aller à l’Essaïon pour assister à Elle rêvait d’une ferme en Afrique. D’une part, la présence dans la distribution de Julie Timmerman. D’autre part, la source d’inspiration annoncée sur les affiches du spectacle : une adaptation libre de Out of Africa de Karen Blixen. Finalement, curieusement, ce ne sont pas nécessairement les raisons pour lesquelles on conseillera de se rendre dans la jolie salle voûtée du petit théâtre parisien.
La comédienne, autrice et metteure en scène Julie Timmerman, « uniquement » comédienne dans Elle rêvait d’une ferme en Afrique, endosse le double rôle de l’actrice inhibée et de la jeune Blixen vivant intensément son rêve africain. On découvre alors chez elle qui nous a habitués à des interprétations fracassantes dans ses créations non moins stupéfiantes (Un démocrate et Bananas and Kings) ces dernières années, un registre plus émotif et vulnérable qui est intéressant, y compris dans ce qu’il dit corporellement. Julie Timmerman, à la belle chevelure déployée est irréprochable et émouvante dans cette dualité qui requiert de la sensibilité et fausse fragilité, même si on ne peut s’empêcher d’attendre avec impatience de la retrouver dans son côté femme-orchestre rock-and-roll dans un nouveau récit politico-historique.
S’agissant de la source d’inspiration, il faut indiquer d’emblée qu’Out of Africa n’est qu’un prétexte. En dépit du titre de la pièce qui fait écho au titre français du roman (Une ferme africaine) et au début de son adaptation cinématographique (« j’avais une ferme en Afrique »), il s’agit plutôt de « variations théâtrales à partir d’un thème de Karen Blixen » suivant l’expression de René Fix, l’auteur du texte. Son intention n’est nullement de présenter une adaptation théâtrale de ce film inoubliable de Sidney Pollack avec les non moins inoubliables Meryl Streep et Robert Redford, mais plutôt de proposer une réflexion fictive, mais néanmoins bien documentée sur la personnalité de cette femme exceptionnelle (ne se nourrissant plus que de champagne et d’huîtres à la fin de son existence) que fut Karen Blixen et à sa vie hors du commun.
Dans la première partie d’Elle rêvait d’une ferme en Afrique, c’est un chassé-croisé entre deux époques et deux lieux qui s’opère en direct sur le plateau, suivant une scénographie extrêmement simple mais efficace. La hautaine baronne dans un restaurant de New-York fait la leçon et joue avec la jeune Shelley terrorisée tant par la rencontre que par la perspective du rôle. En un jeu de lumières, la place est laissée aux flash-back le temps d’ôter les talons et recouvrir la robe de jeune première pour voir la jeune Blixen les yeux brûlant de cette terre africaine qui est son véritable amour. Car il n’est pas vraiment question d’amour dans cette pièce, à la différence du livre et du film, en tout cas pas d’amour charnel, mais d’une révélation, celle de l’Afrique, qui sera vécue intensément, jusqu’au bout, jusqu’à l’échec, sur lequel elle rebondira à travers la littérature, c’est-à-dire en embrassant une carrière littéraire à succès entre 48 et 77 ans.
Et c’est là où la pièce est la plus intéressante et la plus fine, dans sa manière de suggérer la souffrance de deux femmes qui cherchent leur place dans le monde et en elles-mêmes. Ce qui peut paraître, ainsi écrit, si banal ou fréquent est traité avec une grande délicatesse dans le dialogue et le(s) regard(s) entre ces femmes de deux générations, sur le plateau comme à la ville, et entre lesquelles une émotion particulière semble dépasser la fiction elle-même.
Elle rêvait d’une ferme en Afrique donne évidemment envie à la sortie du théâtre de revoir le film précité, mais aussi et surtout de se plonger dans les œuvres écrites après Out of Africa, dont l’une d’elle connut également une autre merveilleuse adaptation cinématographique (Le Festin de Babette) pour mieux comprendre, si besoin était, les pouvoirs de la littérature sur certaines destinées.
© Laurencine Lot
Elle rêvait d’une ferme en Afrique, de René Flix
Mise en scène : Claudia Morin
Collaboration artistique : René Fix
Scénographie : Pascale Stih
Lumière : Philippe Sazerat
Costumes : Dominique Rocher
Maquilleuse : Isabelle Lemeyeur
Effets sonores : René Fix
Avec :
Julie Timmerman/Aurélie Treilhou (Shelley, Karen Blixen)
Philippe Caulier (Finch, Bror)
Claudia Morin (Karen Blixen)
Clément Camara (journaliste)
Durée 1 h 20
Jusqu’au 22 mars 2022
A 21 h les lundis et mardis, à 18 h les dimanches
Théâtre de l’Essaïon
6 rue Pierre au Lard, 75004 Paris
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