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Elephant Man, de Bernard Pomerance, mise en scène de David Bobée, aux Folies Bergères

Sep 30, 2019 | Commentaires fermés sur Elephant Man, de Bernard Pomerance, mise en scène de David Bobée, aux Folies Bergères

 

 

© Arnaud Bertereau

 

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Coupons court à la polémique. Non, David Bobée n’a pas souhaité faire « un coup » en engageant deux monstres sacrés, deux artistes clivants, Béatrice Dalle et JoeyStarr sur ce projet, disons-le de suite une vraie et belle réussite, Elephant Man. Mais pour leur  talent, déjà, et surtout leur engagement profond, chacun à leur façon au sein de cette société où la réaction souffle de nouveau son vent mauvais. Ces deux-là de par leur expérience, leur parcours singulier à chacun, leur courage aussi, n’ont de cesse de dénoncer la connerie humaine, le racisme, l’homophobie, le sexisme… tous les maux qui chaque jour un peu plus gangrènent nos libertés fondamentales. Grandes gueules, certes, écorchés et en colère souvent, mais profondément sincères et justes dans leur engagement, leurs exigences, et entièrement et sans concession au service de leur art, sublimés par lui. Alors oui, les esprits chagrins les attendront au tournant et ils seront fort marri de découvrir deux acteurs au service d’un projet, au sein d’une troupe de merveilleux freaks, comme les aime tant David Bobée, qui ne tirent pas la couverture à eux mais s’intègrent sans barguigner dans un collectif tout entier attaché à défendre une œuvre, qu’ils portent haut, reflet de notre époque foutraque, sa violence. Le personnage principal ce n’est ni elle, ni lui, mais bien Christophe Grégoire, le docteur Frédéric Trèves, confronté devant John Merrick à ses propres contradictions. À eux trois, mais n’omettons pas l’ensemble de la troupe, ils vous embarquent dans une création bouleversante qui vous empoigne d’emblée et ne vous lâche plus près de trois heures durant.

L’histoire de John Merrick, dit l’homme-éléphant, au corps difforme exhibé comme animal de foire, et découvert par le docteur Frédéric Trèves. Racheté à son bourreau, Tom Norman, le chirurgien, installe John Merick au London Hospital pour étudier ce cas médical. Bientôt leur relation évolue, une étrange amitié se noue. Seulement le calvaire de John Merrick, devenu objet de curiosité scientifique, ne fait que recommencer, simplement déplacé d’un champ de foire à une prison médicalisé. Seule l’amitié – et bientôt l’amour – de Madame Kendall, actrice de profession, offrira à John Merrick l’occasion d’exprimer sans fard et de recevoir cette humanité qu’on lui refuse obstinément. David Bobée a remanié le texte original de Bernard Pomerance, sans rien dénaturer, l’exhaussant, approfondissant le rôle de madame Kendall, ajoutant, heureuse idée, une autre personne, Jack l’éventreur…

L’adaptation de David Bobée rejoint ses propres préoccupations d’homme engagé. D’homme enragé avec cette courtoisie, ce sourire qui jamais ne le quitte. Cette pièce parle d’aujourd’hui, de notre société du paraître, société du spectacle où règne la norme supposée qui exclue la différence toujours dénoncée. Où la valeur de l’individu se mesure à l’aune non de son élévation morale ou intellectuelle, de son utilité sociale mais à sa capacité à se représenter. Où l’image prime sur la réelle valeur de l’individu. Cette fable-là, comme le souligne le metteur en scène, est une métaphore politique où s’exprime le mépris de classe, sa violence intrinsèque       et légitimée, le processus de domination à l’œuvre, le regard porté envers l’autre, la fabrique du monstre. Mais qui est le véritable monstre dans cette fable terrible ?

John Merrik, objet de tous les regards, est le miroir de nos faillites intimes et sociales, politiques. Il est comme l’exprime si bien et dans une scène hallucinée Jack l’éventreur, le reflet de notre propre monstruosité, le portrait de Dorian Grey en chacun de nous. Victime et reflet de nos préjugés de classe, de nos faillites, notre racisme ordinaire. Mais devant cette humanité qui s’exprime, derrière la monstruosité physique de John Merrik, notre bien-pensance s’effondre, nos préjugés s’écroulent. Ce que révèle John Merrick c’est notre propre laideur et inhumanité. C’est ce que découvre Trèves, devenu à son tour bourreau et victime de ses propres préjugés.

Dirigé au plus près par David Bobée, JoeyStarr est tout simplement immense. Cette présence brute, immédiate, se révèle être un monstre d’une humanité bouleversante. Sans maquillage, sans prothèse, le corps massif, sa présence captive d’emblée. Avec ça, un jeu d’une intériorité et profondeur fascinante. Ce qu’il irradie sur ce plateau, ce qu’il compose, ce qu’il propose et qui évolue au long de cette pièce n’est pas de l’ordre de la performance. C’est bien au-delà. D’origine Antillaise, enfant de banlieue, le racisme est présent dans son histoire. Le regard qui exclue il connaît. Sans doute cette expérience continue, souterraine, prégnante, est ici propulsée sur le plateau, dans cette histoire qui parle aussi du colonialisme, de l’esclavagisme. De son expérience propre donc il semble tirer ici un fil ténu et serré qui offre à son personnage une réalité tangible. David Bobée semble lui avoir extirpé, en douceur, ce que cache sans doute, exploités par les médias, ses coups d’éclats, une écorchure profonde et tenace, une fragilité qu’il offre à voir ici sans démonstration et sans éclat dramatique, transcendée et troublante. Son jeu quasi minimaliste, concentré à l’extrême, cette vérité absolue, liée à cette présence hors-norme, bouleverse et bouscule nos préventions. Il faut l’observer aussi quand il se tait, cette appréhension, cette écoute envers l’autre, cette présence pleine et entière, cette disponibilité sont des leçons de jeu. Difficile de faire abstraction de son histoire avec Béatrice Dalle, autre monstre désarmant. Mais ils font de leur histoire intime, connue et rebattue, de leur amitié complice désormais, de leur respect et fascination mutuelle, une composition unique d’une émotion à fleur de peau. David Bobée est un petit malin qui joue, avec leur approbation, du rapport de ces deux-là pour insuffler à John Merrick et Madame Kendall une force peu commune dans leur relation, une réalité et même, au-delà, un mystère. Jusqu’à leur faire jouer, crânement et malicieusement, quelques vers de Roméo et Juliette… La mise en scène habilement joue de cette mise en abyme, de cette mise à distance aussi, cette oscillation entre une réalité factuelle et une fiction nourrie de celle-ci. Et ça marche parce Béatrice Dalle et JoeyStarr n’oublient jamais de rester au service entier de leur personnage ainsi nourris. La composition de Béatrice Dalle est aux antipodes de ce que l’on pouvait attendre. Mais qu’attendions-nous à vrai dire sinon une impatience de retrouver celle qui fut, autre monstre, Lucrèce Borgia ? Un jeu ici d’une simplicité désarmante et toujours cette présence altière, cette force qui désarme. D’une grande douceur aussi et semblant être revenue de tout. Mais cette intonation particulière, qui peut dérouter, au final si juste n’est que l’expression d’un bouleversement intime, d’une véritable émotion, celle de madame Kendall devant cette révélation, d’être aussi ce monstre exhibée, révélateur des passions humaines – elle est actrice – en cela au destin gémellaire d’avec John Merrick… Et JoeyStarr. La belle et la bête unis par un même destin, confrontés aux mêmes souffrances et victimes des mêmes préjugés. Lesquels sont portés par Trèves, Christophe Grégoire, dont la composition elle aussi vous arrache. Ce à quoi nous assistons c’est un lent effondrement, celui d’un individu prisonnier des préjugés de son siècle, de son milieu et qui devant John Merrick prend conscience d’être lui, le véritable monstre… Christophe Grégoire compose là avec talent un personnage complexe qui vacille et finit par plier devant cette vérité, une mise à nu de son être, le néant, que la mort de John Merrick brutalement révèle. Le duo formé avec JoeyStarr porte les traces souterraines d’une grande complicité et fait plus que des étincelles. Il serait également dommageable de ne pas parler de Luc Bruyère, magnétique, dans le rôle de Jack L’éventreur, partition ajoutée au texte original. Magnétique donc, d’une élégance folle, dandy du crime, écho lointain d’un Lacenaire. Sa présence et son talent singulier, irradie le plateau comme elle flamboie chez Madame Arthur, travestie sous le nom de Vénus de Millehomme. Freak, donc.

La qualité de la distribution participe de loin à cette mise en scène fluide, qui prend son temps, un temps comme aboli, étiré par un long cauchemar, une longue agonie. Dans ce décor, salle de douche et salle d’autopsie – et c’est bien à cela à quoi l’on assiste, une autopsie d’une humanité en déshérence – sordide et glaciale, au mur du fond transpercé d’une longue meurtrière, John Merrick est toujours à vue, soumis au regard, à la violence. Société du spectacle, toujours. David Bobée joue de la lumière et de l’obscurité. Une obscurité propice au cauchemar, intervention hallucinante de la danseuse XiaonYi Liu, vue entre autre chez Platel, et à la violence âcre et souterraine qui voit se réunir dans cette salle de douche sordide tous les parias, les bas-fonds de Londres. Mais la lumière, crue, engendre elle aussi une autre violence, institutionnelle celle-là, qui voit défiler la gentry londonienne, ducs et duchesses. En jouant des deux, David Bobée les réunit, et les renvoie dos à dos. Mise en scène fluide où les corps sont toujours mis à distance de John Merrick, toujours à l’écart, d’un point à l’autre du plateau, toujours plus bas aussi, le centre n’existant pour lui que pour l’exhibition. Sauf avec madame Kendall et pour une étreinte pudique qui par sa soudaineté n’en prends que plus de valeur. Loin de faire œuvre didactique, pesante, David Bobée fait confiance à la fable qu’il suit au plus près, portée par la scénographie et les acteurs, tous excellents, n’en rajoutent pas plus que ça. Il signe un conte terriblement noir, notre tragédie contemporaine.

Alors oui beaucoup sont venus voir ce que dénonce la pièce, voir deux monstres, Béatrice Dalle et JoeyStarr. Mais très vite cette curiosité s’est trouvée prise en porte à faux, dénoncée par ces deux même qui ont fait basculer cet évènement attendu dans une subtile mise en abyme pour offrir autre chose qu’une simple exhibition, et de renvoyer ces voyeurs à leur propre monstruosité. Eléphant man, au-delà de ces considérations reste un pur moment de théâtre populaire, résolument engagé. Et une vraie réussite, éclatante.

 

© Arnaud Bertereau

 

Elephant Man de Bernard Pomerance

Adaptation de Pascal Collin et David Bobée

Mise en scène  David Bobée

Scénographie Aurélie Lemaignen et David Bobée

Assistanat à la mise en scène Sophie Colleu

Lumières Stéphane Babi Aubert

Vidéo Wojteck Doroszuk

Création musique Jean-Noël Françoise

Costumes Stéphane Barucchi

Accessoires Christelle Lefevre

Maquillage et coiffure Audrey Borca et Florenc e Veyssières

Avec JoeyStarr, Béatrice Dalle, Christophe Grégoire, Michael Cohen, Grégori Miége, Radouan Leflahi, Clémence Ardouin, Arnaud Chéron, Papythio Matoudidi, Xiao Yi Liu, Luc Bruyère

 

Du 3 au 20 octobre 2019

 

 

Folies Bergères

32 rue Richer

75009 Paris

 

Réservations FNAC et réseaux Habituels

www.foliesbergere.com

 

 

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