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ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier
Quelle belle idée que celle de Bertrand Rossi, le directeur de l’Opéra de Nice, d’avoir exhumé pour célébrer le centième anniversaire de la mort de Giacomo Puccini, la version originale en quatre actes (dont la partition n’a été retrouvée qu’en 2007) de son deuxième opéra, Edgar, créé au Théâtre de la Scala en 1889 ! Suite à son échec milanais, en dépit de bonnes critiques, il avait été réduit par le compositeur à trois Actes, sans plus de succès et avait été largement délaissé par les institutions lyriques, en comparaison des autres œuvres du compositeur italien.
Edgar est donc repris pour la première fois en France dans sa première version en ce mois de novembre à Nice, en co-production avec le Teatro Regio de Turin et l’Opéra National de Lorraine. Et c’est une somptueuse découverte, aussi bien s’agissant de la composition musicale en tant que telle, que de la distribution et de la mise en scène qui fonctionnent à l’unisson.
Puccini avait commandé le livret à Ferdinando Fontana en lui demandant d’adapter le poème dramatique La coupe et les lèvres de Musset paru un demi-siècle plus tôt. L’intrigue est relativement simple. Edgar se sent tiraillé entre deux femmes, deux figures caricaturales ou allégoriques du bien et du mal, qui attirent alternativement ou continument tout être humain. A Fidelia, toute de générosité, bienveillance et pureté s’oppose Tigrana (à l’origine un rôle de mezzo) présentée comme une femme libre, trop affranchie et passionnée pour être acceptée par la société ; un bouc émissaire idéal. Edgar, qu’on ne s’y trompe pas est un bel archétype de figure masculine de l’opéra italien, un homme écartelé en apparence entre le vice et la vertu, sachant bien naviguer entre ses désirs, aussi cruel et injuste avec la générosité et le caractère passionnel de l’une et de l’autre. Le fourbe fait tomber dans son piège, grace à un travestissement monacal, la plus sanguine de ses deux bien-aimées, conduisant Tigrana, à planter son couteau dans sa rivale, comme Edgar plus tôt l’avait fait avec Franck ; mais à la différence de ce premier drame qui avait laissé vivant le vaincu, devenu ensuite un camarade de guerre, le crime passionnel féminin ne laisse dans cet épilogue du dernier acte supposer aucun miracle.. Une leçon de moralité, bien immorale.
Dans ce drôle de triangle amoureux, la distribution niçoise d’Edgar excelle. Le ténor Stefano La Colla dans le rôle-titre et les sopranes Ekaterina Bakanova et Valentina Boi dans ceux des amantes rivales, tourbillonnent sur le plateau avec puissance et aisance. Ils séduisent le public tant par la qualité de leurs timbres, leurs agilités vocales respectives, mais également par leurs jeux, individuels et en duo ou trio. Ekaterina Bakanova s’approprie avec crédibilité de l’émotivité et la sensibilité de Fidelia, tout comme Valentina Boi de la fougue et ferveur de Tigrana, dans une complicité pleine d’évidence avec Edgar-Stefano. Le baryton Dalibor Jenis campe un Franck fragile et solide à la fois. La belle diction de Giovanni Furlanetto s’épanouit dans le rôle de Gualtiero.
Les solistes sont parfaitement accompagnés par l’Orchestre philarmonique de Nice qui semble prendre sous la baguette généreuse de Giuliano Carella, un immense plaisir dès le prélude, tout en délicatesse et gaité, ainsi que par les Chœurs qui forment des ensembles très harmonieux et puissants, jouant par ailleurs un rôle important dans l’intrigue. C’est sans doute l’aspect le plus intéressant politiquement de ce drame lyrique que d’avoir souligné dans chaque Acte la versatilité et la crédulité des masses et sa cruauté ultime vers l’échafaud.
Enfin, il convient d’insister sur la mise en scène fluide et élégante de Nicola Raab et les décors épurés et soignés de Georges Souglides. La structure géante inclinée écrase le destin des héros, miroir par ailleurs de leurs tourments (vidéo de l’incendie et velours de la robe, symboles pourpres de la passion), affublé de deux portes, l’une se fermant comme celle du Château de Kafka et l’autre faisant apercevoir la lueur de l’espoir, y compris pour permettre l’entrée du faux mort, sur une longue table qui réunissait initialement tous les villageois. A jardin, l’arbre devient une allégorie de la vie, où Fidelia détache un rameau, puis une villageoise des noix au moment de la possible noce, fruits qui symbolisent la fertilité et l’abondance à l’occasion des cérémonies de mariage.
Si le faux Requiem d’Edgar avait été interprété par Toscanini aux obsèques de son auteur, on peut souhaiter que ce n’est pas le seul passage de l’œuvre que les spectateurs et auditeurs du XXIème retiendront désormais. Injustement, la rareté des représentations n’a pas permis à Edgar d’être identifié par de grands airs à la manière des populaires Tosca, La Bohème ou Madame Butterfly, alors que nombre de ses duos le mériteraient, ainsi que certains solos commencés a capella ou accompagnés de manière peut être déroutante d’une partition d’orgue pour les premières interventions de Tigrana, ou enfin de manière déchirante par Fidelia, en particulier dans son adieu à Edgar du troisième Acte qui précède les plus beaux solos de Tigrana et Edgar avant le dernier Acte.
Longue vie à Edgar !
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Edgar, de Giacomo Puccini
Livret de Ferdinando Fontana
Direction musicale : Giuliano Carella
Mise en scène : Nicola Raab
Assistant à la mise en scène : Jean-Michel Criqui
Décors et costumes : Georges Souglides
Directeur du chœur : Giulio Magnanini
Assistant direction musicale : Frédéric Deloche
Chef du chœur d’enfants : Philippe Négret
Lumières : Giuseppe Di lorio
Assistant aux lumières : Manuel Garzetta
Avec : Stefano La Colla, Giovanni Furlanetto, Dalibor Jenis, Ekaterina Bakanova, Valentina Boi, et l’enfant Savannah Volpi
Ainsi que : l’Orchestre Philarmonique de Nice, le Chœur de l’Opéra de Nice, le Chœur d’enfants de l’Opéra de Nice
Les 8 et 12 novembre 2024 à 20h, le 10 novembre à 15h
En italien, surtitré en français
Durée : 2h45 (avec un entracte de 30 minutes )
Opéra Nice Côte d’Azur
4-6 rue Saint-François de Paule
06300 Nice
réservation : www.opera-nice.org
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