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Double Vision, Carolyn Carlson, au Théâtre National de Chaillot

Fév 13, 2016 | Commentaires fermés sur Double Vision, Carolyn Carlson, au Théâtre National de Chaillot

ƒ article de Denis Sanglard

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© Electronic-shadow

Un solo de Carolyn Carlson c’est avant tout la quintessence d’une danse singulière, les traces d’une personnalité hors du commun qui a sans nul doute, et encore aujourd’hui, marqué de son empreinte la danse contemporaine tout en creusant obstinément son sillon. « Double vision », pièce chorégraphique de 2006, naît de la rencontre avec les artistes d’Electronic Shadow (Naziha Mestaoui et Yacine Aït Kaci) et de leur univers visuel, de l’appétence de Carolyn Carlson pour la technologie contemporaine appliquée aux arts. Sur un plateau recouvert d’une immense toile blanche qui fait corps, littéralement, avec la haute silhouette longiligne de Carolyn Carlson, des images défilent en vagues ininterrompues. Paysages, insectes, mer, terre, univers, sang, globules, pollution, destruction… la terre, l’univers en déclin jusqu’à l’abstraction pure. Et dans ce raz de marée visuel que diffracte un miroir surplombant le plateau, Carolyn Carlson, enserrée dans cette toile, robe fluide qui l’emprisonne, danse. Mouvements fluides ou saccadés, gestuelle qui épouse, souligne cet univers mouvant, elle se fond dans cet espace virtuel jusqu’à disparaître. Et c’est bien là que le bât blesse. La technologie l’emporte sur la danse que l’on distingue bientôt à peine sous la masse imposante d’images projetées qui submerge Carolyn Carlson. La frustration est grande à essayer d’apercevoir sporadiquement ne serait-ce que l’esquisse d’un mouvement. La danse minimaliste, abstraite, de Carolyn Carlson s’accomodant mal de cet imposant dispositif qui l’étouffe. Et nous lasse aussi, nous fatigue par ce trop plein bombardé.
La seconde partie où une simple silhouette noire joue là aussi avec une vidéo, vision urbaine et métro en marche – rien de bien original – pour « nowhere », perturbe quelque peu parce que sous le masque de cette silhouette noire agitée on devine bientôt que ce n’est pas Carolyn Carlson. Les saluts révèleront la doublure. Et cette danse-là, plus pantomime en fait, physiquement différente, s’oppose de fait à la première, se raccorde difficilement à celle-ci et crée comme un flottement, une cassure. Enfin il faut attendre la troisième partie ou le plateau redevenu presque nu révèle Carolyn Carlson telle qu’en elle-même. Sans artifice, sans support technologique, la danse mise à nu est là. Avec ce qui distingue et rend unique Carolyn Carlson, cet univers qui n’appartient qu’à elle. On prend alors toute la mesure de la singularité et de l’univers de Carolyn Carlson. Cependant quelque chose cloche que l’on cherche à comprendre. C’est mon voisin qui me donnera la clef du malaise ressenti… « c’est daté » se murmura-t-il. De fait, c’est juste, cela fleure bon les années 1970, 1980. C’est vrai, il y a cette impression fugace d’un retour en arrière, de quelque chose de grippé dans le temps que la technologie, et son abus, ne sauve pas. Bien au contraire. Encore moins la musique choisie. Ni ce discours new-age écolo très premier degré qui très vite lasse car mille fois entendu, vu, dansé. Sans doute aurait-il fallu trouver un autre angle d’attaque moins premier degré. Ce n’est pas ringard, non. Dire cela serait insultant et faux. C’est autre chose. Carolyn Carlson est une immense danseuse et sa danse est toujours aussi tenace, vivace, mais elle est comme dans une parenthèse, une bulle, un univers qui s’est écarté, éloigné de ses contemporains, figé dans une époque révolue et qui, certes, a cependant essaimé et fructifié. C’est un peu le syndrome de la danse classique qui porte en elle-même ses propres limites et contradictions jusque dans l’exellence. Et la sclérose. Il n’en demeure pas moins qu’il faut découvrir Carolyn Carlson pour comprendre ce que fut sa révolution et son influence sur la danse aujourd’hui. « Double Vision » n’est pas un mauvais spectacle, non, ce serait mentir ou bien exagérer. Seulement cette « Double vision » nous projette non dans l’avenir mais bien dans le passé…

Double Vision
Chorégraphie Carolyn Carlson
Scénographie et image Electronic Shadow-Naziha Mestaoui et Yacine Aït Kaci
Musique originale Nicolas de Zorzi
Lumières Emma Juliard, Electronic Shadow
Costumes Chrystel Zingiro, d’après les dessins de Crstof Beaufays
Avec la complicité artistique de Maud Margot Bigiani et Gilles Nicolas
Avec le soutien technique de Noxaka-Leïla Aït Kaci
Avec Carolyn Carlson

Du 10 au 12 février 2016 à 20h30

Théâtre National de Chaillot
1, place du Trocadéro – 75116 Paris
réservation 01 53 65 30 00
www.theatre-chaillot.fr

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