© Tristan Jeanne-Valès
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Foudroyant Dom Juan de Jean Lambert-wild ! Une adaptation noire, radicale et cauchemardesque du mythe, plongée dans une âme fascinée par le vide. Don Juan est un mort en sursis. La camarde est là qui rôde et Dom Juan s’en amuse qui la nargue. Mélancolique et malade, ce clown camusien, cheveux rouges et teint blafard, n’a d’autre révolte que tyranniser, humilier son entourage. Sganarelle, les femmes, le mendiant, son père. Et trois musiciens, bouffons et souffre-douleurs. Il n’y ici aucune séduction, pas même de sensualité mais un cynisme tragique, une violence froide, une brutalité gratuite. Ni maître ni dieu, le libertin dans sa solitude existentielle n’a pas d’autre défi que la mort qu’il ne cesse de provoquer en jouant à la roulette russe. Dans ce huis-clos, cette jungle cauchemardesque, cet enfer tropical, Dom Juan est au milieu de nulle part, en bout de course, au terme de sa vie. En habit de squelette, Sganarelle préfigure le destin de son maître. C’est un dialogue avec la mort, un instant suspendu et dérisoire, la fin étant dans le commencement. Ce n’est pas dieu ni les hommes ni le commandeur qui le punissent mais le mal qui le ronge inexorablement et l’emporte. Et celui qui va mourir, dans un ultime sursaut, achève lui-même son destin.
Jean Lambert-wild et son avatar, Gramblanc, ce clown blanc en pyjama à rayures, s’empare de Dom Juan, la face sombre du libertin. Et ce clown-là, terrifiant comme ils le sont tous, lui offre une liberté absolue, un geste artistique affranchi de toutes contraintes dramaturgiques et historiques. Il peut tout oser. Il ose donc. C’est un jeu, du théâtre dans le théâtre. Le personnage est ainsi un pantin habité par ce monstre qui le manipule, le modèle à sa fantaisie. Autant de masques grimaçants. Ce fut le cas, superbement, pour Richard III. Ce Dom Juan là, il est vrai, n’a pas d’humanité ni de complaisance, de pitié. Gramblanc le tenaille fermement et l’entraîne, l’enchaîne dans une vision cauchemardesque et sauvage, désespérée, sardonique, tragique et drôle. Il y a de l’audace crâne à dégonfler ainsi avec tant de jubilation le mythe et lui redonner sa pauvre condition humaine, pitoyable et grandiose tout à la fois, sans aucun affect pour le mythe, dépouillé en somme de ces attributs glorieux, héroïques. Son suicide, puisque c’est est un, n’est que l’expression lucide de sa vacuité dans un univers sans dieu et l’absurdité de la condition humaine. Et puis il y Sganarelle… Formidable, impressionnante, drôle et dramatique Yaya Mbilé Bitang. Sganarelle est une femme, oui. Ce qui rend d’autant plus troublant le rapport avec Dom Juan. Mais au-delà de ça, Sganarelle est une femme puissante. Loin d’être pleutre, violente parfois, consciente de sa domesticité, elle est ici le double inversé de son maître. Sganarelle est un drôle d’oxymore ici qui vêtu des attributs de la mort tente de sauver le salut de Dom Juan. Ce n’est pas le 7ème sceau de Bergman mais ça y ressemble à la seule différence qu’ici est posée par Sganarelle une double question, la vie après la mort et la vie avant la mort. Partie d’échec truquée à vrai dire, Dom Juan jouant seul la dernière partie de sa vie et que l’enfer est déjà là, dans l’inutilité de nos existences. Et on ne résiste pas au « tchip » qui ponctue les répliques de ce personnage et qui valent bien plus qu’un discours. Mais dans la dernière réplique, « mes gages, mes gages » s’engouffre là une souffrance, une écorchure qui la renvoie à sa condition première. Poignant.
Il y a néanmoins beaucoup d’humour dans cette noirceur en technicolor, cette touffeur de jungle. Trois drôle de zigs musiciens autant que comédiens sont là, témoins, contrepoints comiques, et souffre-douleurs de Dom Juan. Dans cette mise en scène qui va à l’essentiel, dans cette scénographie de Stéphane Blanquet − à la fois no man’s land fantastique et espace mental propice aux hallucinations − c’est une respiration génialement incongrue, hilarante et bienvenue. A ce clown blanc démoniaque il fallait bien trois augustes, trois musiciens de balloche déglingués au milieu de ce requiem glacial.
(Le reste de la distribution (Don Elvire, Charlotte, Don Carlos, le mendiant) est complétée par quatorze comédiens et comédiennes en alternance pour compléter la distribution, Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra ont confié aux quinze comédiennes et comédiens de l’École Supérieure Professionnelle de Théâtre du Limousin − l’Académie de l’Union − les autres rôles qu’ils se partagent en alternance. Une très belle façon pour eux d’achever leur formation et ainsi se lancer dans la vie active… Très heureuse idée de leur mettre les pieds à l’étrier.)
© Tristan Jeanne-Valès
Dom Juan ou le Festin de pierre, d’après le mythe de Don Juan et le Dom Juan de Molière
Adaptation et direction Jean Lambert-wild & Lorenzo Malaguerra
Regard associé Marc Goldberg
Adaptation Jean Lambert-wilde & Catherine Lefeuvre
Musique et spatialisation en direct Jean-Luc Therminarias
Scénographie de Porcelaine et de tapisseries en point numérique d’Aubusson de Jean Lambert-wild & Stéphane Blanquet réalisé avec le soutien de la fabrique les Porcelaines de la fabrique et de l’Entreprise Néolice
Assistant à la scénographie Thierry Varenne & Alain Pinochet
Lumière Renaud Lagier
Costumes Annick Serrat-Amirat
Maquillages et perruques Catherine Saint-Sever
Directrice technique Claire Seguin
Régie générale Thierry Varenne
Régie son Nourel Boucherk
Habilleuse Christine Ducouret
Avec Jean Lambert-wild, Yaya Mbilé Bitang, Denis Alber, Pascal Rinaldi, Romaine
Et, en alternance, quatre acteur/actrices issus de l’École Supérieure Professionnelle de Théâtre du Limousin − l’Académie de l’Union (séquence 9) :
Claire Angenot, Gabrielle Allée, Quentin Ballif, Mathias Beaudouin, Romain Bertran, Hélène Cerles, Ashille Constantin, Yannick Cotten, Estelle Delville, Laure Descamps, Antonin Dufeutrelle, Nina Fabiani, Marine Godon, Isabella Olechowski
Du 13 janvier au 15 février 2020
Lundi, mardi et vendredi à 20 h 30
Jeudi et samedi à 19 h
Relâche mercredi et dimanche
Théâtre de la Cité Internationale
17bd Jourdan
75014 Paris
Réservations 01 43 13 50 50
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