Critiques // Diptyque Strindberg : « Mademoiselle Julie » et « Créanciers » à la Colline

Diptyque Strindberg : « Mademoiselle Julie » et « Créanciers » à la Colline

Mai 10, 2011 | Aucun commentaire sur Diptyque Strindberg : « Mademoiselle Julie » et « Créanciers » à la Colline

Critique de Bruno Deslot

Un homme averti en vaut deux : Strindberg en diptyque

Entre une aristocrate déclassée, Mademoiselle Julie, se livrant à ses pulsions dévastatrices avec un valet arriviste et Gustave, présentant la note à Tekla dans Créanciers, le fil rouge est tendu dans un diptyque qui cherche l’écho du point de vue ou du point de fuite de l’auteur des deux pièces, August Strindberg (1849-1912).

Mademoiselle Julie | © Elisabeth Carecchio

Sur un sol en dallage vert émeraude, de forme trapézoïdale aux quatre côtés desquels sont suspendus de long fil rouge, le plateau est organisé simplement et propose une scénographie épurée. Le fond de scène figure un lointain depuis lequel les comédiens apparaissent dès lors qu’une porte coulissante s’ouvre pour leur permettre de pénétrer l’aire de jeu en parcourant une structure pentue. Un autre plan s’ajoute donc au premier, donnant davantage de perspective à ce point de fuite esquissé par la scénographie. Le principe de la chambre noire (camera osbcura), représentée par un espace sombre dans lequel Adolphe, le mari de Tekla, se meurt dans Créanciers, justifie ce principe de point de fuite encore plus lisible dans les œuvres picturales des grands maîtres du XVIe siècle.

Dans Mademoiselle Julie, au centre de la scène, un meuble de cuisine avec rangements, permet à Christine de préparer le repas de Jean rentrant de la gare où il a accompagné le comte. La cuisinière découpe ses légumes, faire fondre le beurre dans la casserole, puis y jette les rognons qu’elle servira à Jean. Bruits des ustensiles de cuisine, crépitement de la cuisson, il ne manque plus que l’odeur. Jean mange, tout en conversant avec Christine. Le ton est donné, la mise en scène s’annonce assurément réaliste mais très rapidement sombre dans la confusion des genres liée sans doute au travail de réflexion, mené par Christian Schiaretti à propos des sous-titres des pièces de Strindberg. Tragédie naturaliste pour Mademoiselle Julie, tragi-comédie pour Créanciers, entres autres…

Mademoiselle Julie | © Elisabeth Carecchio

On ne peut pas, en effet, limiter l’œuvre de Strindberg à un seul registre et Christian Schiaretti apporte en cela un élément de réflexion essentiel sur la complexité de l’œuvre de l’auteur en ne figeant pas ses pièces dans une dimension soit sociale, soit sacrificielle. En dépit de toutes ces interrogations, là où le bât blesse, c’est cette mise en scène qui traîne en longueur cherchant à donner une couleur, un ton au diptyque proposé qui n’atteint pas sa cible mais se contente de l’approcher, de l’observer, de loin dans une démarche trop sage et superficielle.

Dans sa préface de Mademoiselle Julie publiée chez l’Arche Editeur, Strindberg dit à propos de ses personnages, c’est « un conglomérat de civilisations passées et actuelles, de bouts de livres et de journaux, des morceaux d’hommes, des lambeaux de vêtements de dimanche devenus haillons tout comme l’âme elle-même est un assemblage de pièces de toutes sortes. » Mademoiselle Julie (Clémentine Verdier) propose un jeu pudique, toujours dans la retenue, n’exprimant son égarement que par des éclats de voix ou des chutes contrôlées lorsqu’elle tente d’exprimer son effondrement intérieur face à Jean (Wladimir Yordanoff), valet arriviste, qui après l’avoir violé continue d’abuser de la jeune fille mais par d’autres moyens toujours plus féroces. Les comédiens s’inscrivent dans un jeu très mécanique, confortable, scolaire presque. L’ensemble manque d’une dimension éminemment charnelle, ou le sexe et l’effroi pourraient être mêlés dans un tumulte étourdissant proche de l’hystérie dont on ne peut faire l’économie dans cette atmosphère totalement libidinale. Certes les costumes sont d’époque, tout comme le mobilier, mais cela ne doit pas empêcher les corps d’exprimer des pulsions quasi palpables, instrumentalisant les corps, les réduisant à leurs désirs les plus vils. Dans Créanciers, la beauté et la force du texte est réduite à une conversation de salon dont parfois s’échappe un clin d’œil comique qui rappelle quelques sonorités les plus connues des pièces de Feydeau ! Mais très rapidement, la mise en scène et le jeu des comédiens font de l’œuvre de Strindberg, un texte bavard où tout est prévisible car trop bien installé, alors que les personnages devraient être toujours sur le fil (rouge sans doute ?). Puissante, acerbe, incisive et si proche de nous, l’œuvre de Strindberg est tout sauf bavarde, la mise en scène mériterait des coupes franches et d’aller davantage à l’essentiel.

Mais l’essentiel n’est-il pas ailleurs ?

Mademoiselle Julie et Créanciers
De : August Strindberg
Traductions du suédois : Terje Sinding
Mise en scène : Christian Schiaretti
Scénographie : Renaud de Fontainieu
Accessoires : Fanny Gamet
Costumes : Thibaut Welchlin
Lumières : Julia Grand
Son : Laurent Dureux
Coiffures et maquillage : Claire Cohen
Conseiller littéraire : Gérald Garutti
Comédiens « Mademoiselle Julie » : Clara Simpson, Clémentine Verdier, Wladimir Yordanoff
Comédiens « Créanciers » : Christophe Maltot, Clara Simpson, Wladimir Yordanoff

Du 7 mai au 11 juin 2011

Théâtre National de la Colline
15 rue Malte-Brun, 75020 Paris
www.colline.fr

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