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Die Sorglosschlafenden, die Frischaufgeblühten, mise en scène de Christoph Marthaler, au Théâtre de l’Aquarium, dans le cadre du Festival d’Automne

Oct 03, 2022 | Commentaires fermés sur Die Sorglosschlafenden, die Frischaufgeblühten, mise en scène de Christoph Marthaler, au Théâtre de l’Aquarium, dans le cadre du Festival d’Automne

 

 

© Matthias Horn

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Le sol est désert, plat, comme une grève lissée par le flux et reflux des vagues, laissant affleurer, épars, ces quelques rochers noirs, qui sont en réalité des étuis d’instrument de musique. La scénographie du dernier spectacle de Christoph Marthaler, inspiré des écrits et de la vie du poète allemand Friedrich Hölderlin, est un aplat où les corps, les objets, les rares meubles et chaises accoudés aux murs, font saillie, comme un réel refoulé perforant la toile d’une illusion. Ou encore comme un échouage, après la tempête, quand apparaissent sur la plage dans le calme rétabli les débris dispersés d’une existence. Il y a indéniablement du vide et du silence sur ce plateau, on s’est retiré, on a débarrassé le plancher. Le spectaculaire bat en retraite.

Avec Die Sorglosschlafenden, die Frischaufgeblühten, ayant comme sous-titre français Les insouciants endormis, Christoph Marthaler ose une radicale transposition dans le langage scénique de la langue du poète. Il y aura donc les processus performatifs activés par les six acteurs musiciens et, comme une conscience aimantant le corps du plateau, les mots du poème, ceux qu’il écrira dans la deuxième partie de sa vie traversant doute et désarroi, alors qu’il choisit de vivre désormais reclus dans une modeste chambre à Tübingen, alors que comme le décriront certains contemporains le poète bégaie et balbutie désormais. Le spectacle se situe à l’endroit même de ce repli, de cette absence trouble, de cette lacune, tel ces mots manquant à l’appel du poème ébauché, trou au milieu de la phrase, tel ce vide au milieu du plateau, trou noir existentiel. Die Sorglosschlafenden, die Frischaufgeblühten est de l’ordre de l’expérience intérieure et du voyage introspectif.

« Pourquoi es-tu si bref ? N’aimerais-tu donc plus,

Comme autrefois, le chant ? »

Les acteurs-musiciens sont assis, pliés en deux, la tête mangée par l’étui ouvert posé sur leurs genoux, parlant le poème comme on se parlerait à soi-même en parlant aux murs. Ils se retrouvent d’ailleurs régulièrement face à ces murs, indépassable et indécrottable réel qui ne peut que faire choir toute prétention du poète et de l’être. Un sourire, comme une dérision, se glisse comme l’ange qui passe dans le silence.

« On peut tomber dans la hauteur comme dans la profondeur. »

Tirant leurs chaises, comme on tirerait sa valise à roulettes, errant sans espoir de quitter l’enceinte délimitée par ces hauts murs cimentés d’un gris mousseux comme celui des nuages, peut-être mènent-ils cette « vie d’assis » (William H. Gass, Le tunnel) qui fût celle du poète dans sa chambre reclus ?

Les cheveux sont lisses, les corps habillés et contenus dans un apparat des années 1970. On reconnaît bien là et plus encore dans ce burlesque subtil et rigoureux, joué comme du papier à musique, la marque du célèbre metteur en scène suisse, mais c’est comme si, dans l’espace du poème hölderlinien, cet humour ne pouvait plus qu’être accidentel, incident, ne pouvait plus divertir l’être de son néant, de sa finitude, de son incomplétude au regard de la nature qui le surplombe. Il faudra bien un jour ouvrir cette porte et quitter la pièce, disparaître, quand bien même on préfèrerait continuer à y tourner en rond.

Die Sorglosschlafenden, die Frischaufgeblühten pourra sembler austère, peu amène, c’est qu’il est gravé à l’encre de l’incorruptible poète dont les mots semblent vouloir se ressaisir d’un réel qu’il aurait peut-être vanté et jugé trop vite dans sa première jeunesse. L’âme, l’héroïsme, ne semblent plus être de mise, comme ces instruments à cordes, au rebut, déchiquetés au sol et éparpillés sur un coin du plateau. Le violon glissé sous le cou n’est plus très loin du couteau sous la gorge. A cette extrémité funeste, Christoph Marthaler et sa remarquable troupe parviennent à trouver la note juste.

« Là où la sobriété te quitte

Là est la limite de ton enthousiasme »

 

© Matthias Horn

 

 

Die Sorglosschlafenden, die Frischaufgeblühten, textes de Friedrich Hölderlin

Mise en scène de Christoph Marthaler

Assistante mise en scène : Annalisa Engheben

Avec Bendix Dethleffsen, Josefine Israel, Sasha Rau, Lars Rudolph, Samuel Weiss, Martin Zeller

Dramaturgie : Malte Ubenauf

Scénographie : Duri Bischoff

Assistante scénographie : Philipp Eckle

Lumières : Annette ter Meulen

Musique : Carl Friedrich Abel, Johann Sebastian Bach, Ludwig van Beethoven, Sergeï Rachmaninov, Franz Schubert, Robert Schumann, Carl Maria von Weber

Son et vidéo : Kai Altmann

Costumes : Sara Kittelmann

Assistante costumes : Daniel Goergens, Tabea Harms

Conseil artistique : Carl Hegemann

 

Durée : 1 heure 30

Du 26 septembre au 2 octobre 2022

Lundi au jeudi 20 h 30, samedi 15 h et 20 h 30

Dimanche 14 h

Relâche vendredi

 

 

 

Théâtre de l’Aquarium – la vie brève

2, route du Champ de Manœuvre

75012 Paris

www.theatredelaquarium.net

Tél : 01 43 74 72 74

 

 

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