© Jean-Louis Fernandez
ƒƒƒ Article de Victoria Fourel
Elle chante. Elle signe. A partir d’un questionnement autour du son et de la musique, Emmanuelle Laborit et Johanny Bert proposent un tour de chansigne, un spectacle où musiques populaires et airs d’opéra sont adaptés en langage des signes, pour parler de ce qui nous rapproche, de ce qui nous est accessible à tous au-delà de ce qui nous isole.
C’est un objet théâtral original, par son fond, qui est d’ailleurs aussi sa forme, en l’occurrence. Comment une comédienne sourde perçoit-elle les vibrations, les énergies des chansons, comment chante et danse-t-elle ? On peut rapidement voir une portée pédagogique dans ce spectacle, tant l’on découvre un nouveau moyen d’expression et tant on redécouvre les morceaux populaires d’Amy Winehouse, Asaf Avidan ou Gossip. Les sourds peuvent donc chanter avec nous, vibrer avec nous ? L’adaptation des chansons en langage des signes peut être parfois obscure pour les entendants, proche à la fois du mime, de la danse, voire même du rituel ancestral. Du point de vue d’un public que l’on qualifierait de classique, on est surpris et on se sent parfois plus en sécurité lorsque le surtitrage intervient. Preuve de notre incompréhension face à ces signes pourtant ô combien parlants.
Au détour de ce spectacle construit en véritable concert, c’est aussi un vrai portrait de femme sourde, un engagement contre la méconnaissance de toute une communauté. Par le choix de chansons et des intermèdes parlés, Emmanuelle Laborit explore la féminité, voire la sexualité des femmes, la place qu’ont les sourds au monde, les façons de dire ce que les textes nous inspirent lorsqu’on n’a pas la parole. Ou plutôt la voix. Puisque la parole, la comédienne l’a, c’est elle qui nous l’apprend. La langue des signes est un lien au monde, un outil contre la solitude, pour sortir de l’isolement qu’impose le silence.
Ce spectacle clairement divertissant, mais aussi didactique, nous apprend aussi que pour jouer avec des musiciens, c’est l’écoute qui prime. Paradoxal, pour les sourds et muets ? Et pourtant. Le Delano Orchestra, très présent et attachant, au plateau, à la fois omniprésent et humble est en regard en permanence de la comédienne. Ils s’attendent, se mettent au diapason les uns des autres, pour maintenir un rythme viable tout au long du spectacle tout en étant en harmonie avec Emmanuelle Laborit. On sent le travail et l’amusement de tous. On sent surtout que tout est possible, y compris être passionnée de musique lorsqu’on est sourde.
Dévaste-moi est un spectacle délicat et bien construit, qui joue avec nos perceptions, nous force à changer de point de vue et à se découvrir un nouvel œil, une nouvelle oreille, aussi. Un joli moment simple et intense, plein de facettes et d’idées.
Dévaste-moi
Mise en scène Johanny Bert en collaboration avec Yan Raballand, chorégraphe
Recherche dramaturgique Alexandra Lazarescou
Adaptation des chansons en langage des signes Emmanuelle Laborit
Création Vidéo Virginie Premer (en alternance avec Camille Lorin)
Création Costumes Pétronille Salomé
Création lumières Falix Bataillou (en alternance avec Samy Hiddous)
Avec Emmanuelle Laborit et le Delano Orchestra (Guillaume Bongiraud, Yann Clavaizolle, Mathieu Lopez, Julien Quinet et Alexandre Rochon)
Interprète voix off Corinne Gache
Du 3 au 8 juillet 2018, mardi, mercredi, vendredi à 20h, jeudi et samedi à 19h, dimanche à 16h
Maison des Métallos
94 rue Jean-Pierre Timbaud 75011 PARIS
Réservation 01 48 05 88 27
http://www.maisondesmetallos.paris
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