ƒƒ Article de Camille Hazard
©Nabil Boutros
Cabaret tragique, destinée pailletée, enfer coloré.
Au Théâtre des Quartiers d’Ivry, la nouvelle année commence sous le signe du Théâtre National Palestinien.
Depuis 2011, Adel Hakim prend cette troupe sous son aile; il ne cesse de lui redonner des couleurs, de la force et leur collaboration a permis aux artistes palestiniens de voyager, de montrer leur travail et leur talent.
Précédemment, la troupe a joué Antigone de Sophocle ; en ce moment et jusqu’au 5 février, vous pouvez découvrir leur nouvelle création Des Roses et du Jasmin.
Encore pétris de leur rôle d’Antigone, de Créon, d’Ismène (…), voilà ces acteurs qui troquent leurs costumes pour incarner trois générations d’une famille sur la terre d’Israël et de Palestine. Et ça tombe plutôt bien d’avoir encore en bouche, le souffle d’Antigone car ces deux spectacles ne sont pas sans lien. La tragédie les relie, le destin les accable, la déraison humaine les enterre.
Écrit au fil des répétitions par Adel Hakim, le spectacle met en scène différents points de vue sur le conflit au Proche-Orient. De 1944 à la première Intifada en 1988, le metteur en scène donne la parole aux membres d’une même famille, composée d’origines, de sensibilités et d’intérêts forts différents sur la question de la terre. Le pluralisme des voix est la grande réussite du spectacle. Tournant le dos aux discours bilatéraux, le metteur en scène prend le temps (3h) d’explorer toutes les voix de ce conflit tentaculaire et irrésolu depuis 70 ans.
Face à ce pluralisme, les spectateurs venus au théâtre avec leurs idées, leurs théories, leurs affirmations toutes préparées sur la question, sont amenés à écouter et à réfléchir. Voilà la puissance du théâtre qui se déchaine, qui déconcerte, met à mal les préjugés et renforce notre regard intérieur. N’oublions pas que ce spectacle a d’abord été créé en juin 2015 à Jérusalem Est…
Un officier britannique, une jeune fille juive qui a fui l’Allemagne dans les années 40, un partisan de l’Irgoun (armée sioniste avant la création d’Israël), Un Palestinien désorienté par l’arrivée d’émigrants, un membre de l’OLP (organisation de libération de la Palestine), une fille qui travaille dans les services secrets israéliens… autant de personnages qui composent cette famille. Le plateau, entouré de part et d’autre de paravents, recueille l’Histoire familiale, présentée, tenue, par des personnages grotesques et effrayants : « Alpha, Oméga, Epsilon et Lambda », chœur clownesque comme sorti des enfers. Omniprésents, ils maintiennent les personnages sous leurs griffes. La famille, prisonnière du destin, parvient péniblement à survivre jusqu’à ce que la tragédie s’abatte sur la nouvelle génération de filles. Mais ce sont certains personnages eux-mêmes qui tirent les ficelles du destin ; dans leur soif de pouvoir, ils donnent naissance à la tragédie. Ici, point de Dieux.
Ce n’est d’ailleurs pas sans raison qu’Adel Hakim choisit deux musiques « Midnight the stars and you » d’Al Bowlly, rendue célèbre par la scène du bal dans Shining et la musique pour les Funérailles de la Reine Mary de Purcell, immortalisée dans Orange mécanique… Hommage au réalisateur et à ses personnages, jouets du destin et de la folie des hommes.
La mise en scène ne tombe jamais dans l’écueil de la passion ni de l’émotivité; les comédiens gardent perpétuellement un jeu distancié dans lequel l’engagement du personnage et du comédien se lie subtilement.
Le metteur en scène signe un texte humaniste mais sans espoir aucun. Heureusement, les quelques moments d’humour nous évitent de tomber dans un profond désarroi et les acteurs fabuleux qui composent la troupe donnent toute leur énergie à faire résonner le texte qui pourrait se résumer à un long et douloureux cri suivi d’un silence de mort.
Des roses et du jasmin
Texte et mise en scène Adel Hakim
Édition L’avant Scène Théâtre
Scénographie et lumière Yves Collet
Dramaturgie Mohamed Kacimi
Assistante à la mise en scène Giorgina Asfour
Collaboration artistique Nabil Boutros
Costumes Dominique Rocher
Vidéo Matthieu Mullot
Chorégraphie Sahar DamouniAvec Hussam Abou Eisheh, Alla Abu Gharbieh, Kamel El Basha, Yasmin Hamaar, Faten Khoury, Sami Metwasi, Lama Namneh, Shaden Salim et Daoud Toutah.
Du 20 janvier au 5 février 2017-01-20Théâtre des Quartiers d’Ivry
Manufacture des Œillets / La Fabrique
1 Place Pierre Gosnat – 94200 Ivry-Sur-Seine
M° Mairie d’Ivry
Réservation 01 43 90 11 11
www.theatre-quartiers-ivry.com
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