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Des lustres, écrit et mise en scène de Marjory Duprés, Théâtre de Laon

Avr 22, 2019 | Commentaires fermés sur Des lustres, écrit et mise en scène de Marjory Duprés, Théâtre de Laon

 

© Tiffany Duprés

 

ƒƒ article de Sarah Kellal

Après une semaine de résidence au Théâtre de Laon, Marjory Duprès, de la Compagnie Jours Dansants, y présentait jeudi 18 avril une étape de travail de son solo transmédia, avant que d’être retravaillé puis présenté cet été à Avignon au Théâtre Artéphile.

Pas de sensationnalisme. Pas de poudre aux yeux. C’est à partir de l’immobilité que va se déployer le geste de la chorégraphe. Au travers d’un dispositif simple et sobre, la création semble grandir et se forger avec le temps et les dimensions infinies que celui-ci permet. Le temps, matière première du travail de la prometteuse et sensible Marjory Duprés. Chorégraphe et dramaturge, elle nous offre trente-cinq minutes d’exploration du champ mémoriel. Trente-cinq minutes de silences, d’évanescence, de souffles, d’images, de mots, de trajectoires, de rebonds, de pas, d’intime. Un petit écrin sur la force et la préciosité du souvenir et de l’oubli et sur leur résonnance en nous et autour de nous.

Un carré de sable blanc délimite l’espace. Dans le silence, le corps allongé de Marjory Duprés, dos au public. Un écran en fond de scène. Un corps aussi, sur cet écran, découpé, dont ne voit que la hanche et la taille. Juste le frémissement quasi imperceptible de leurs respirations en simultané. Ce corps, au sol, dont on devine, dont on sent déjà la charge ardente de vie. Un son, incertain d’abord, pas tout à fait identifiable, se fait entendre. Nous sommes baignés dans un bain visuel et sensoriel au ralenti. Les premières minutes sont une douce tension, une palpitation. Pas un geste. Comme cela pourrait durer… Puis lentement, les doigts, puis la main de Marjory Duprès vont se déployer. Doux réveil qui nous tire d’un songe. Commence alors un voyage où la vidéo, la danse, le silence et les mots donnent chair aux paysages intérieurs de l’artiste. Des mots, entendus sous forme de voix off féminine qui viennent ponctuer la traversée. Compagnons de route de l’artiste.

« Ce dont je me rappelle, c’est du grand tapis rouge ultra moelleux avec l’image des jambes d’une femme enroulées autour des barreaux de sa chaise. Et c’est là qu’il se passe quelque chose qu’au début moi je ne vois pas. C’est ma main, qui tient un verre de jus d’orange qui est en train de se renverser. Ce qui est très bizarre, ce que je suis incapable d’arrêter l’action. Je regarde ma main sans pouvoir réagir et jusqu’au bout je vois le verre se vider et faire une grosse tâche sur tapis. »

Le spectre et l’influence d’Annie Ernaux sont là, nettement assumés : c’est autour des détails, de la fugacité ou de la persistance des souvenirs que Marjory Duprés construit son geste. La voix de sa grand-mère aimée retrouvée sur les archives de son répondeur, à laquelle elle offre de se répéter et de « s’éterniser », un garçon sur la plage, retenu par un « Je t’aime ! », des mains ou un paysage qui s’animent à l’écran, à la lisière de l’abstraction par moments. Citons Tiffany Duprés et son très beau travail de vidéaste. Les plans et les couleurs sont superbes et à eux seuls une très belle matière. Citons aussi Manuel Desfeux qui donne lumière et épouse la proposition avec talent.

C’est aussi dans le silence qu’émergent les souvenirs, dans l’impalpable, dans l’invisible, au cœur desquels nous sommes invités à plonger. Et ce sont les nôtres qui affleurent, de souvenirs ; c’est la nôtre, de mémoire multiple qui surgit, par vagues et par sensations. Là est la vraie réussite de ce spectacle : que l’intime de l’autre fasse vibrer l’intime en soi-même, qu’il vienne réveiller ce que d’universel il porte en lui. Et les allers et venues entre l’autre et soi nous bercent. Marjory Duprés devient l’écran et le point de convergence des mémoires. Glissant, sautant, tournoyant, se suspendant. Sa danse va puiser dans l’abstraction autant que dans la quotidienneté gestuelle.

Porter à la scène ce qui reste de mémoire c’est aussi et irrémédiablement nous parler de l’oubli et de tous les trous, toutes les béances mémorielles qui nous constituent. Et Des Lustres leur fait place et c’est cela aussi qui est beau, que le vide et le manque deviennent matière et se mettent à dire des choses, à nous susurrer des sensations.

Marjory Duprés, tout en robustesse et en évanescence mêlées – à l’image de son travail – signe là une belle promesse. Des Lustres peut gagner en magnétisme et en incarnation mais nul doute que c’est la voie qu’il emprunte. On lui souhaite de trouver son épanouissement à Avignon, et de vivre longtemps encore.

 

© Tiffany Duprés

 

 

Des Lustres, chorégraphie, interprétation, dramaturgie et texte par Marjory Duprés

Images documentaires : Tiffany Duprés

Réalisateur lumières : Manuel Desfeux

Musique originale, sound-design : Guillaume Léglise

Régisseur vidéo : Camille Guyot

Comédienne (voix off) : Marik Renner

 

Théâtre de Laon

Jeudi 18 avril 2019

 

Tournée :

Du 06 au 09 juin 2019

Festival « Tournée Générale »

Paris 75012

Horaires et lieux précis en attente

 

Du 05 au 27 juillet 2019

Festival Avignon OFF / Théâtre Artéphile

7 rue du Bourg Neuf

84000 Avignon (intra-muros)

13h (Salle 1)

Relâche les dimanches 7, 14 et 21 juillet 2019

 

 

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