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Des gens comme eux, texte et adaptation de Samira Sedira, mise en scène d’Éric Massé, Théâtre Point du Jour, Lyon

Oct 09, 2024 | Commentaires fermés sur Des gens comme eux, texte et adaptation de Samira Sedira, mise en scène d’Éric Massé, Théâtre Point du Jour, Lyon

 

© Jean-Louis Fernandez

 

Article de Paul Vermersch

On a du mal à se repérer dans le dispositif déployé par Éric Massé dans cette adaptation de roman. Partout dans le spectacle on nous envoie des signaux pour nous faire adhérer très fort à l’aspect réel de cette histoire (dispositifs vidéo intimistes, reconstitution de procès, direction très naturaliste des acteurs microtés, etc.) et pourtant difficile de croire à ce qui advient au plateau.

Sursignifiance et personnages impossibles

Le spectacle s’ouvre sur ce premier tableau, une femme allongée dans un lit installe des bougies et finit par se confier face publique sur le drame qui va bientôt advenir : le texte débité assez vite est boulé, on entend une langue sinueuse, réflexive, mais la comédienne projette les phrases rapidement, de manière très quotidienne, on a du mal à croire ce qui est dit et surtout à comprendre l’endroit de jeu qui est visé.

Puis c’est une scène de mariage, le mariage de Simon et Lucie, les bons amis d’Anna et Constant (qui va assassiner la famille Langlois un peu plus tard). Pareil ici, impossible vraiment de saisir l’endroit de jeu qui est proposé, on sent bien que ce qui est cherché c’est un certain naturalisme, quelque chose qui fait vrai, les acteur.ices s’emparent du texte sur cette même modalité très quotidienne et on assiste au même frottement : la langue du texte est plus formelle que le jeu proposé, on a la sensation que les comédiens viennent réduire le texte à un endroit plus petit, plus simple, et on ne croit pas à ce qui se dit.

Et c’est à cette scène aussi qu’on voit jaillir un autre travers qui nous empêchent d’adhérer au propos : la surgnifiance permanente des aspects sociaux des personnages. Très vite, on a la sensation que tout ce qui est dit, est dit pour nous prouver, nous expliquer, insister sur le rapport de classe qui opère entre eux (le couple qui va être assassiné étant significativement plus riche que les autres, d’un milieu social beaucoup plus bourgeois), le racisme, la misogynie. Rapidement c’est ce qu’on sent : les situations ont un but, et ce but c’est d’illustrer ces rapports de domination.

On peut peut-être à ce propos citer ce que dit Deleuze dans Sur la peinture, lorsqu’il évoque le rapport entre les œuvres d’arts et leurs liens avec les clichés : le rôle de l’œuvre d’art ne serait pas d’illustrer la réalité (qui est une somme de cliché préexistants à l’œuvre) mais de venir dans un état de fait convoquer une réalité concrète, qui devient visible par la manipulation technique du médium, c’est-à-dire ici, de l’outil théâtral. Une référence peut-être un peu maladroite dans un article comme celui-ci, mais qui semble à propos en ceci que le spectacle est l’exact inverse.

Et les conséquences au plateau sont très concrètes : comme on veut toujours montrer cette domination (et son impact chez les personnages) on entre alors dans un régime de conflit simpliste, où tout du long on assiste au déploiement de la violence du couple des Langlois (tellement typé d’ailleurs) sur les autres du village, c’est les bourreaux d’un côté les victimes de l’autre, jusqu’à la tuerie, qui comme un coup de poker vient renverser les culpabilités dans une situation aporétique classique. Que cette violence existe, et qu’elle soit unilatérale n’est en soi pas discutable et tout à fait intéressant, mais la forme ne finit plus que par le marteler, le démontrer en permanence, on a cette sensation très forte d’illustration, d’explication et c’est ce qui gêne : pris dans cette tentative très volontaire, jamais le spectacle ne devient sensible.

Comme les dialogues, les situations existent toujours à travers cette tension : bien montrer les rapports de domination, finalement ce que l’on voit apparaître sur scène c’est l’inverse de la vie, c’est des cases, les citadins VS les ruraux, les pauvres VS les riches, les hommes VS les femmes (et les femmes riches VS les femmes pauvres). Et pourquoi pas ? Ne sommes-nous pas finalement toujours prisonniers de nos déterminismes sociaux, psychiques ? Oui, mais si la proposition est celle-ci, c’est impossible de croire à ces cases, impossible de croire que Sylvia, la femme bourgeoise s’assoit en tournant le dos aux invités, impossible de croire à cette figure tellement typée du parisien avec Bakary, impossible de croire au racisme tellement plaqué de Simon, de Constant, qu’on sent tellement didactique, démonstratif. Impossible d’y croire surtout quand tout est pris dans cette sorte de naturalisme permanent qui nous invite à considérer que ce qui advient au plateau est vrai (même si rien n’est jamais vrai au plateau), une direction de jouer qui brouille sûrement encore davantage les pistes… En sommes, les réactions, voire même les émotions des personnages, sont toujours convoquées pour ce qu’elles veulent dire (le classicisme, le racisme, la misogynie, etc.), jamais parce que la situation l’appelle. Et on se lasse.

Après avoir évolué sur ce modèle pendant à peu près 1h45, Constant, épuisé de l’humiliation permanente de la famille Langlois par leur statut social et financier, tue tout le monde et le spectacle se résout avec une longue scène de procès qui est peut-être le moment le plus clair de cette proposition. On retrace l’événement sous la modalité question du juge / réponse de l’accusé, le dispositif est simple et opérant, on a enfin accès à la narration. Les questions posées étonnent par leur dimension spirituelle « est-ce que ça vous a soulagé de tuer tout le monde / qu’avez-vous ressenti en tuant tout le monde / pensez-vous que c’était juste de tuer tout le monde », on suspecte que derrière cette question il y ait encore la volonté de montrer que derrière le monstre il y a un monstre pas si monstrueux. On est aussi gêné par la facticité de l’échange entre les deux avocats, par les énervements faux de la cour, les petites piques lancées à blanc pour venir mimer une tension inexistante entre les deux parties, mais la scène coule assez vite, et on sent la fin arriver très fort.

 

© Jean-Louis Fernandez

 

 

Des gens comme eux, texte et adaptation de Samira Sedira

Mise en scène de Jean Massé

Avec : Laura Barida, Louis Ferrand, Étienne Galharague, Gaëtan KKondzot, Marianne Pommier, Amélie Zekri et Éric Massé/Selena Hernandez en alternance

Collaboration artistique : Selena Hernandez

Lumière : Rodolphe Martin

Création sonore : Marc Chalosse

 

Du 3 au 11 octobre 2024

Durée 1h45

 

Théâtre Point du jour

7 rue des Aqueducs

69005 Lyon

 

www.pointdujourtheatre.fr

 

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