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Dépendances, de Charif Ghattas, Théâtre du Rond Point

Jan 16, 2020 | Commentaires fermés sur Dépendances, de Charif Ghattas, Théâtre du Rond Point

 

 

© Lot

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

C’est un huis clos. Deux frères se retrouvent dans un appartement familial, qui se réduit dans sa représentation scénographique à un grand pan de tissu écru éclairé, un plafond/toit incliné constituant une autre source de lumière, deux chaises, un tabouret qui ne sera pas utilisé et une caisse de bois qui fait office de table pour un repas improvisé de deux bières et morceaux d’une mauvaise pizza.

Henri et Tobias attendent Carl le troisième frère qui ne viendra pas. Il est question de la mère également qui habite en face et que l’on ne verra pas non plus. On n’apprend explicitement qu’au bout de près de trente minutes que cette rencontre est organisée dans le cadre d’une succession.

La précision est à la fois essentielle et sans importance. La succession fait ressurgir le passé, les non-dits des histoires familiales, les frustrations entre les membres d’une même famille et en particulier entre trois frères, les haines contenues, un contrôle qui ne peut s’expliquer que par les liens du sang.

L’auteur, qui signe également la mise à scène, n’a pas beaucoup mis de ses racines libanaises dans Dépendances, y compris dans les passages relatifs aux rapports différents des deux hommes à l’argent. Sans doute parce qu’il entend donner à cette histoire de fratrie une portée universelle.  « Je suis ton frère » dit Tobias à Henri récuremment.

La plus grande audace et sans doute la plus grande maîtrise de Charif Ghattas consiste en l’exploitation des silences, et ce dès les premières minutes du spectacle.

Cette force des silences tranche avec la banalité du langage des deux frères, la trivialité du vocabulaire qu’ils utilisent et l’évitement des corps. Ils ne se touchent pas jusqu’à l’affrontement final qui est, lui, essentiellement physique, un corps à corps qui n’a de violente que l’apparence ou l’intention initiale, mais qui se transforme imperceptiblement avant l’écroulement à terre en un rapprochement presque charnel de ces hommes ayant perdu l’habitude de se prendre dans les bras.

En dépit du clin d’œil au fameux « l’enfer c’est les autres » de Huis clos quand Henri réplique à Tobias qu’il n’est « allergique à rien sauf aux autres », c’est moins le registre de Sartre auquel Dépendances fait penser que celui de Pour un oui pour un non de Sarraute, pièce dans laquelle a d’ailleurs déjà joué Francis Lombrail (Tobias). Le comédien tout comme son frère d’un soir, Thibault de Montalembert (Henri) sont très convaincants, même si les dialogues qui leur sont attribués ne le sont pas toujours, comme dans le passage où après que Tobias n’ait pas voulu répondre à Carl qui l’appelle et qu’il brise son téléphone, Henri s’offusque de ne plus avoir les moyens de le joindre alors qu’il l’avait déjà précédemment appelé sur son propre appareil.

On pense évidemment aussi à En attendant Godot, huis clos de l’absurde, créé par une attente qui n’en finit pas, d’un personnage que l’on ne cesse de nommer et dont on sait pourtant qu’il ne viendra pas, parce qu’il n’a jamais existé ou n’existe plus : « Donc on attend » dit Henri. Il s’assied et poursuit son attente, solitaire, tandis que la lumière s’éteint progressivement sur le plateau.

On soulignera pour finir la jolie création sonore qui accompagne l’heure un quart de représentation. Le son de la mer, des rires d’enfants, des pulsations qui pourraient être de la plus grande banalité sont d’une grande justesse en eux-mêmes et dans leur distillation tout au long de la représentation et donnent une âme à ce spectacle dont on ressort avec une impression contrastée, mais incontestablement touché.

 

 

Dépendances de Charif Ghattas

Mise en scène Charif Ghattas

Assistant à la mise en scène Coralie Emilion-Languille

Scénographie Laure Montagné

Création Lumières Gaspard Gauthier

Création sonore Clément Hubert

Avec Thibault de Montalembert et Francis Lombrail

 

 

Du 14 janvier au 9 février 2020

À 18 h 30, du mardi au dimanche, relâche le 19 janvier 2020

Durée 1 h 15

 

Théâtre du Rond Point

Salle Jean Tardieu

2 bis avenue Franklin D. Roosevelt

75008 Paris

 

Réservation 01 44 95 98 21

www.theatredurondpoint.fr

 

 

 

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