Critiques // « Démons » de Lars Norén, mise en scène Cyril Le Grix, au Lucernaire

« Démons » de Lars Norén, mise en scène Cyril Le Grix, au Lucernaire

Mai 19, 2015 | Commentaires fermés sur « Démons » de Lars Norén, mise en scène Cyril Le Grix, au Lucernaire

ƒƒ article de Camille Hazard

« Ou je te tue, ou tu me tues, ou on se sépare ou on continue comme ça, choisis »
Katarina

 

Lars Norén promet un huis clos macabre dans lequel quatre personnages font connaissance avec leur démon.

Deux couples que tout oppose.
Katarina et Frank, libres, ou que l’on pense libres, sans tabou, sans limite, sans morale. Et Jenna et Tomas, couple mesuré, tel que la société bien pensante le conçoit ; mariage, boulot, enfants puis maison-boulot, maison-boulot, maison-boulot, maison-boulot…
Le jeu cruel auquel se livrent régulièrement Frank et Katarina est à la mesure du vide sidéral qui entoure la vie plate et morne de Jenna et Tomas…

« Je t’aime, moi non plus »

Un soir, à l’occasion d’une invitation lancée à la va-vite, ils se retrouvent dans le même salon. L’alcool et le désespoir ne font pas bon ménage, les langues se délient, les corps lâchent, les masques si englués soient-ils, s’arrachent. Non sans douleur, non sans tentative de ramener le calme, les personnages sont sous le joug d’une mécanique lancée et ils iront jusqu’au bout…
Lars Norén ajoute à ce drame, une dimension tragique, sacrée et mythologique dans son rapport à la mort, aux rites funèbres et dionysiaques, à la jouissance qui se dégage de certains personnages furies.
C’est là que le metteur en scène intervient. Dans un constant va-et-vient de quotidien et de sacré, de (sur)vie qui s’effiloche et de mort qui rôde, Cyril Le Grix, dose parfaitement les changements d’états, les ruptures, les bouleversements imprévisibles, qui favorisent tout au long du spectacle, la montée en puissance, l’arrivée triomphante de l’achèvement.

Les deux couples évoluent dans un salon high-tech, épuré, sans couleur, style nordique. L’organisation du salon fait sens ; magazines qui bavent sur le sol, toilettes recouvertes de peau de bête, en guise d’œuvre d’art, énorme boule blanche suspendue au-dessus de la tête des personnages…
Cyril Le Grix intègre le public dans son décor et nous immerge ainsi pleinement, dans le chaos qui s’organise.

Les comédiens puisent une énergie extraordinaire pour aller au bout de leur partition. Du jeu Lento, tenu, intériorisé, plein de sous-entendus au bouillonnement Prestissimo, ils apportent un souffle, une palette impressionnante de nuances au texte de l’auteur suédois.
Le comédien Xavier Bazin (Tomas), magnifique et terrifiant de vérité dans le rôle du mari étouffé, nié, castré, prend vraiment l’allure du pauvre type avant de se déployer dans un sursaut de vie. Le couple Frank-Katarina, laisse échapper des silences et des regards d’humanité, tout en se débattant pour leur propre survie. Thibaut Corrion apporte largeur, épaisseur et folie au personnage de Frank.
On sent le travail minutieux dans la direction des comédiens, le personnage très complexe de Jenna, incarné par Maud Imbert passe par une multitude d’états et la comédienne ne lâche pas un instant les rênes de son personnage.

Cyril Le Grix réussit à pousser la tension jusqu’au mal à l’aise.
Dans ce huis clos étouffant où le sacré côtoie le vulgaire de nos vies, on se réjouit de voir que le théâtre reste encore la meilleure des catharsis.

Démons
Texte Lars Norén
Mise en scène Cyril Le Grix
Traduction Louis-Charles Sirjacq et Per Nygren
Scénographie Cyril Le Grix et Elsa Bélenguier
Lumière Carole Van Bellegem
Design sonore Fred Bures
Conseiller chorégraphique Emilie Delbée

Avec Xavier Bazin, Thibaut Corrion, Maud Imbert et Carole Schaal

Du 13 mai au 4 juillet 2015
Du mardi au samedi à 21h00

Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs – 75006 Paris
M° Notre Dame Des Champs
Réservations 01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr

 

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