© Jean-Louis Fernandez
ƒƒ article de Denis Sanglard
Enfermer la 5ème symphonie de Mahler dans un sucrier, seule Jeanne Candel pouvait avoir et réaliser cette idée saugrenue et surréaliste. Demi-Véronique, nom d’une passe tauromachique, nous y reviendrons peut-être, est un spectacle fourre-tout, un capharnaüm insensé, où les images incongrues se percutent, s’entassent sans queue ni tête, collage dada qui saute du coq à l’âne dans un décor de chambre calcinée très vite ravagée. Coquecigrue théâtrale entre mimodrame et mélodrame, pas une parole, à peine quelques borborygmes, où les poissons sont récalcitrants, les baisers partent en fumée, les biscottes se font la malle, où prêter l’oreille n’est pas une métaphore… Et pour fil conducteur la cinquième de Mahler donc, source d’inspiration frappadingue et de citations aléatoires de cette création azimutée qui en épouse cahin-caha, par fragments éclatés, la structure. Plus ou moins. Ça cahote parfois, ça hoquette, s’en éloigne délibérément, très loin, pour mieux y revenir, l’ignore même pour partir sur des sentiers de traverse. Inutile dans cette macédoine de chercher du sens. Il n’y en a pas. Un univers, ça oui. Et lequel ! Jeanne Candel, ici sans son complice Samuel Achache, a le don particulier de vous amener sur un terrain miné et de vous planter là sans plus de façon. A charge pour chacun, perdu de fait, de trouver son chemin. Ces Trois Zébulon, Jeanne Candel, Lionel Dray et Caroline Darchen s’y entendent pour vous égarer. Les suit-on en confiance qu’à peine ils bifurquent et nous désorientent. Jeanne Candel n’est pas en reste pour vous foutre en l’air un décor dans une première performance qui n’envierait rien aux actionniste viennois, Vienne qui accueillit Mahler. On ne comprend goutte à ce déchaînement soudain, plein de bruit, de fureur et d’eau. Qu’importe. Et quand elle réapparaît pour le célèbre adaggietto dont Visconti fit la promotion involontaire dans Mort à Venise, on craint le pire. Qui n’advient pas. Reste Visconti et la dernière scène de Mort à Venise à laquelle, le cœur gros comme ça, ils règlent définitivement leur compte. Alors oui on peut ne pas les suivre, refuser cet univers abracadabrantesque, ne pas rentrer de plain-pied dans cette création barjotte au goût d’enfance assumé et quelque peu foutraque, regretter quelques longueurs parfois qui dégonflent les intentions inventives et l’énergie têtue première. Se dire que ici ou là, oui, bon ils vont un peu loin. Et où diable ? Bref les sentiments envers cette création oscillent, pas facile pour un chroniqueur de donner son avis qui ne sait au final s’il aime ou pas et demeure perplexe quoique indulgent devant cet O.T.M.I*. Mais il en est ainsi de ce collectif, La vie brève, qui a les défauts de ses qualités, et vice et versa. Et pour la Demi-Véronique ? Citons : « c’est une passe durant laquelle le torero absorbe le taureau dans l’éventail de sa cape, le conduit dans une courbe serrée jusqu’à la hanche, en contraignant l’arrêt de sa charge.»
*Objet théâtral mal identifié
© Jean-Louis Fernandez
Demi-Véronique une création collective de La vie brève
A partir de la Cinquième symphonie de Gustav Mahler
Scénographie Lisa Navarro
Régie générale et plateau Vincent Lefèvre
En alternance avec Marion Lefebvre
Création lumières au Théâtre des Bouffes du Nord Vyara Stefanova
Régie lumières Samuel Kleinman
Création et régie sonore Julien Fezans
Création des costumes Pauline Kieffer
Création textile (les organes) Simona Grassano, assisté de Sara Berthesaghi Gallo
Assistant à la mise en scène Carla Bouis
Regard extérieur Laure Mathis
Construction décor Philippe Gauliard et Vincent Lefèvre
Préparation physique Shyne Tharappel Thankappan
Production Elaine Méric
Avec Jeanne Candel, Caroline Darchen, Lionel Dray
Du 6 au 17 novembre 2018
Du mardi au samedi à 20h30
Matinée les samedis à 14h30
Théâtre des Bouffes du Nord
37bis boulevard de la Chapelle
75010 Paris
Réservations 01 46 07 34 50
Tournée
5 mars 2019 / Scène nationale Brive / Tulle
20 et 21 mars 2019 / Théâtre de Nîmes
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