Critiques // Dear Life, conception et mise en scène de Wang Chia-Ming, d’après Alice Munro à la MAC Créteil / Le Festival d’Automne à Paris

Dear Life, conception et mise en scène de Wang Chia-Ming, d’après Alice Munro à la MAC Créteil / Le Festival d’Automne à Paris

Déc 05, 2019 | Commentaires fermés sur Dear Life, conception et mise en scène de Wang Chia-Ming, d’après Alice Munro à la MAC Créteil / Le Festival d’Automne à Paris

 

© Yueh Yueh Liu

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

On l’avouera immédiatement : notre indéfectible passion cinéphile pour les grands maîtres taiwanais Hou Hsiao Hsien et Tsai Ming Liang. Elle n’était pas étrangère à notre décision de venir découvrir à la MAC Créteil Dear Life, le spectacle de leur compatriote Wang Chia-Ming. Chez ces réalisateurs, il y a cette réflexion, qui est d’abord une expérimentation quasi hypnotique, sur le temps à travers l’étirement de plans d’une splendeur à couper le souffle. Une manière de déplier l’instantané dans une multitude de sensations.

Dear Life n’est pas un film. Et pourtant, quand bien même il n’use pas (ou très peu) de la vidéo, ce spectacle possède de nombreuses qualités cinématographiques. À commencer par sa scénographie se déployant sur toute la largeur du plateau, tout en étant réduite dans son occupation verticale, produisant cette impression de cinémascope. Des façades en tôles galvanisées, des portes, des transparences comme des jardins d’hiver, sur toute la largeur donc. Quelques tables et chaises en plastiques, des tabourets verts. L’ensemble pouvant évoquer ces rues de Taipei aux nombreuses échoppes et petites cantines. Mais cette évocation ne se justifie pas tant par les lieux où se situe l’action de Dear Life – ils sont bien trop nombreux et distincts pour être représentés littéralement sur scène. Il s’agirait plutôt de convoquer à travers l’espace de la rue le personnage central et éponyme de Dear Life : la vie. La vie, comme une rue en perpétuelle activité, comme un flux, ininterrompu, palpitant ou apaisé, un mouvement sans fin formé par les hasards des rencontres et des décisions.

Le caractère cinématographique de Dear Life découle aussi, et en grande partie, de son matériau dramaturgique : s’inspirant de quelques nouvelles de la Canadienne Alice Munro, Dear Life se structure dans une forme puissamment narrative à travers le récit successif de plusieurs femmes, enchaînant sans discontinuer les événements, petits et grands, d’une vie. Les comédiennes passant avec aisance de cette parole narrative à celle dialoguée lorsqu’éclot une scène, comme une bulle de savon éclatant à la surface du récit. C’est toute la force et la beauté de Dear Life : ne jamais s’appesantir devant le tragique d’une situation ou s’ébahir devant la beauté d’un instant. Tout passe. Avec délicatesse. Avec cet humour aimant que sait offrir le regard distant d’un récit passé. Sans arrêt sur image. Ce lâcher prise, que les lecteurs d’Alice Munro reconnaîtront facilement, c’est justement à cela que travaille Dear Life : enchaînant les histoires, les scènes, par petites touches, sans jamais forcer le trait, comme autant de citations tirées de la vie aussitôt gommées par l’image qui suit. Il y a de la vérité non seulement dans ce qui est raconté, cela importe peu ici, mais aussi dans cette vitesse qui interdit de rester rivé en arrière, dans ce déroulé de faits et gestes qui s’inscrivent comme un paysage que l’on verrait défiler derrière la vitre d’un bus sillonnant l’espace et le temps.

Jamais Wang Chia-Ming ne se place, et nous avec lui, en position de surplomb sur ces vies minuscules (pour reprendre le titre de l’ouvrage référence de Pierre Michon). On ressent au contraire une profonde empathie qui nous gagne au fil des récits, par ces instants de quotidiens cousus du fil blanc de la narration, déployant des mondes en quelques miettes de temps : une odeur de bouillon, un repas entre une fille et sa mère, le souvenir d’une sœur disparue, et puis comme un fondu enchaîné, une odeur d’encens, une séance d’exorcisme avec un medium taoïste… Dear Life sait ouvrir les bras de la narration, comme des puits sans fond et les refermer aussi vite qu’il les a ouverts.

Cette embrassement du spectateur procède, pour les moyens mis en œuvre, à la fois d’une musique de scène, très présente, piano, clarinette, et percussion, jouée en direct, et du jeu des comédiens, très éloigné de Stanislavski, s’inspirant au contraire d’un art plus formel, art de l’esquisse créant efficacement êtres et situations par quelques gestes et postures, offrant au spectateur autant le personnage que le geste qui fait naître le personnage. Tel un théâtre de marionnettes.

D’une beauté surgie de la simplicité de ses artifices, Dear Life est finalement comme ces chansons de variété pop qui émaillent son cinéma : captant l’air d’un temps passé, il touche à ce qui fait l’essence de la vie.

 

 

© Yueh Yueh Liu

 

 

Dear Life, conception et mise en scène Wang Chia-Ming

Avec Fa, Wang Chuan, An Yuan-Liang, Yu Pei-Zhen, Huang Chiao-Wei, LI Ming-Chen, Gwen Yao, Chang Jimmy, Chen Wu-Kang, Huang Pei-Shu, Sunny Yang, Lai Wen-Chun

Musique Blaire Ko, Lin Fang-Yi

Percussionistes, Yu Rho-Mei, Kao Chen-Yin, Wu Kang-Chiu

Lumières, Wang Tien-Hung

Décors, Huang I-Ju

Costumes, Chin Ping-Ping

 

Du 28 au 30 novembre 2019

Durée 2 h

 

 

 

MAC Maison des Arts Créteil

PL Salvador Allende, 94000 Créteil

 

Réservation au +01 45 13 19 19

www.maccreteil.com

 

Festival d’Automne à Paris

www.festival-automne.com

 

 

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