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D’autres jours viendront, création du Théâtre El Duende, mise en scène d’Andrea Castro au Théâtre El Duende, d’Ivry sur Seine

Déc 03, 2024 | Commentaires fermés sur D’autres jours viendront, création du Théâtre El Duende, mise en scène d’Andrea Castro au Théâtre El Duende, d’Ivry sur Seine

 

© Frédéric Blaise

 

ƒƒ article de Sylvie Boursier

« Ils éprouvèrent ainsi la souffrance profonde de tous les exilés qui est de vivre avec une mémoire qui ne sert à rien », dit Camus dans La peste. Est-ce pour cela que l’écrivain exilé a écrit L’étranger ? Pour sa mère privée de parole, pour ces petites gens silencieux qu’il a connus en Algérie ?

D’autres jours viendront, une grand-mère musicienne confie à sa petite fille ses souvenirs d’enfance au Chili avant son exil et celui de la famille en France, suite au coup d’État du général Pinochet le 11 septembre 1973. Ce jour-là Salvador Allende prononce son dernier discours public et quelques instants plus tard, dans le palais présidentiel pris d’assaut, il se donne la mort pour ne pas se rendre aux forces de Pinochet, qui mettra en place dix-sept ans de dictature.

 Il ne s’agit ici pas de « devoir de mémoire » mais d’images assemblées sur un puzzle chantant, un cabaret de l’exil célébrant la vie sous toutes ses formes et surtout le pouvoir du théâtre qui transforme les années de plomb en or. « Les bonnes odeurs c’est comme les jours heureux, ça ne s’oublie pas » dit la grand-mère, Anita Vallejo, qui ne cultive pas la nostalgie. Elle rappelle que dans l’avion de l’exil, tous ont fait honneur au repas et ont dormi durant tout le trajet. On ferme les yeux sur les goûts, les couleurs chaudes et l’atmosphère de la maison familiale un jour de fête où le temps s’est arrêté.

L’îlot central de la scène avec un synthétiseur et un bureau face à face, isole Anita et sa petite fille Alma dans une bulle, un peu de temps à l’état pur aurait dit Marcel Proust, l’espace de la transmission où les blancs, les tirets, les points de suspension de l’album de famille valent bien des adjectifs. De part et d’autre les comédiens ressuscitent les jours heureux, le palais de la Moneda en flammes, le dernier message d’Allende avant son suicide, le camp de concentration où Oscar Vallejo rédigeait secrètement des pièces de théâtre, l’histoire du Theatro Aleph Chile intimement mêlé aux mouvements de résistance artistique contre le fascisme. Les photos très bien choisies et les musiques nous projettent dans ce temps qui ne passe, on devine les voix et les corps d’hommes, de femmes et d’enfants mutilés, morts et disparus ; Victor Jara et Pablo Neruda accompagnent nos propres souvenirs d’exilés, ici ou d’ailleurs, enfouis dans les rets de notre mémoire.

Les circonstances du coup d’État sont connues, largement documentées y compris par les sources déclassifiées états-uniennes. En revanche, on mesure le coup de tonnerre qu’a représenté l’installation du premier président élu démocratiquement au Chili, socialiste de surcroît, à quel point cette élection parut insupportable à beaucoup de puissances, qui n’ont eu de cesse de l’éliminer. La démocratie, surtout quand elle fait ce qu’elle dit, est une insulte sur l’échiquier mondial, encore plus aujourd’hui qu’hier et c’est aussi cela que nous rappelle ce spectacle. Allende veut dire en espagnol au-delà, embrasse ce qui ne meurt pas. Chicho (surnom donné au président pendant son enfance) crut jusqu’à ses dernières secondes à la création possible d’un pouvoir populaire.

Cette famille peut sereinement nous raconter son histoire parce que ces gens sont heureux, pas par devoir mais parce qu’ils ont le duende, cette joie donnée à l’artiste, transmise au spectateur avec chaleur et sans mélancolie.

 

© Frédéric Blaise

 

D’autres jours viendront, d’Andrea Castro, recueil de textes tirés de La mémoire et l’exil de Luis Pradenas

Mise en scène : Andrea Castro

Montages sonores et visuels : Alma Kerouani

Lumière : Romain Thomas

Scénographie : Louise Bauduret

Son : Vanina Adrover, Deck Oner

Musique : Anita Vallejo

Avec : Louise Bauduret, Mathieu Cabiac, Andrea Castro, Sebastian Castro-Vallejo, Alma Kerouani, sébastien Naud, Anita Vallejo et les musiciens Anita Vallejo, Luis Pradenas,Timothée Durand, Olena Powichrowski, Soheil Trabrizi-Zadeih, Ruben Castro, Pascal Camors, Christophe Defays, Jesus Munoz

 

Durée : 1h50

Jusqu’au 15 décembre 2024

Les jeudis, vendredis et samedis à 20h30, les dimanches à 17h30

 

Théâtre El Duende

23 rue Hoche

94200 Ivry-sur-Seine

 

Réservation : 01 46 71 52 29

www.theatre-elduende.com

 

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