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Danses de travers & Musiques à fuir, de Dominique Brun au Théâtre Berthelot de Montreuil dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis  

Mai 31, 2023 | Commentaires fermés sur Danses de travers & Musiques à fuir, de Dominique Brun au Théâtre Berthelot de Montreuil dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis  

 

© D. R.

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

Comment un geste artistique, quand bien même il s’attacherait à déployer un précédent de cent ans, peut faire nouveauté. Comment ce qui pourrait sembler suranné peut être disruptif. Comment ce qui vibre dans l’instant, ce qui fait l’art de la danse — l’entrelacement éphémère de l’espace et du temps, est aussi capable de tendre son arc puissant entre deux époques, développant ses harmoniques sensibles entre création originelle et reconstitution créative. Dominique Brun fait œuvre d’historienne, remémorant à partir de quelques bribes, photos, descriptions, ce qui s’inscrivit à un moment donné dans l’histoire de la danse mais cette œuvre est vivante, profondément présente. Ce travail polymorphe de recréation est une récréation. Non pas que le geste artistique manquerait d’attention et d’intention, bien au contraire, mais parce qu’il agit comme un dépaysement, émoustillant une curiosité contemporaine, toute sauf passéiste, voyageant à travers des corps oubliés. Danses de travers & Musiques à fuir est un concert de danses, comme l’écrit Dominique Brun, avec pour essentiel véhicule la musique d’Erik Satie. Le passé n’est pas refroidi, il survit dans les corps, gestes formés et oubliés et recouvrés, affolant notre présent de spectateur, affriolantes offrandes, que Dominique Brun fait resurgir au gré de pièces courtes du compositeur, dans le fracas d’un geste intempestif ne cédant rien aux modes. Ces danses reconnues, avec cette troublante sensation de déjà-vu, détonnent dans le paysage de la danse contemporaine par ce grand écart qu’elles exécutent, comme si elles avaient un pied dans l’au-delà des formes révolues, et l’autre dans l’immédiateté de la performance. Pour cela, le travail de Dominique Brun est précieux, s’armant de fragilité, d’humilité et de joies simples, bien éloigné de l’assurance et de l’académisme dont peut être empreint le ballet classique, lui aussi travaillant à un répertoire passé mais gommant les aspérités qu’il recèle. On décèle dans le geste de Dominique Brun un acte réparateur qui n’est pas exempt de beauté, à la manière du kintsugi, cet art japonais consistant à recoller les morceaux de céramique ou porcelaine cassées avec de la poudre d’or.

L’étonnement que procure cet ensemble est à l’instar de la musique d’Erik Satie, dont les notes de piano tiennent dans la même main heurt et mélodie, harmonie et percussion. Cette musique frappe, à tous les sens du terme, et si l’on peut se permettre un anachronisme, Thelonius Monk et son jeu singulier bousculant les harmonies et les rythmes n’est pas loin. C’est comme si la musique de Satie tendait elle-aussi son arc entre ligne mélodique se déployant dans la durée et note éclatant dans le poing de l’instant.

Le corps de ces Danses de travers & Musiques à fuir est un corps retrouvé, au sens proustien. Corps sculpté par le regard d’une époque révolue, corps enfoui, comme un inconscient parce que désuet dans l’imaginaire du temps qui l’a relégué. A le regarder dans la longueur de cette soirée, se dégage un profil, renvoyant évidemment à l’archétypal Prélude à l’après-midi d’un faune de Nijinski, le langage chorégraphique de cette époque faisant lui-même signe aux traces des danses antiques en frise sur les faïences retrouvées, et ce n’est probablement pas un hasard si le programme conçu par Dominique Brun démarre par une Gnossienne, explicitant la référence à la Grèce antique. Cette fixation des mouvements par des arrêts, comme autant d’empreintes se déposant dans la rétine du spectateur, se projetant sur une surface plus que dans un volume, renvoie aussi à photographie, en plein essor à l’époque de Satie.

L’aplat qui se dégage de l’ensemble ainsi chorégraphié, éclate joyeusement en son centre avec ce Cheval, costumé par Pablo Picasso, animal articulé par deux danseurs. Outre la drôlerie de cette irruption, c’est comme si ce corps s’autorisait à rompre les règles de l’aplat de son époque, déconstruisant les perspectives, modulant dans une même image représentation de l’animal et corps humain de ses interprètes, magnifique métaphore de ce spectacle, capable de faire apparaître dans un même geste le corps perdu d’un moment de l’histoire de la danse et les corps, bien actuels, de ses interprètes-chercheurs. L’inédit de ces danses de travers, c’est d’emprunter ces chemins de traverses, portées par ces musiques à fuir, ourdissant leur passage secret, délicat, facétieux, et renouant les fils d’une histoire dans le muscle des corps actuels. Et nous ravissant.

 

© D.R.

 

 

Danses de travers & Musiques à fuir, conception Dominique Brun

Musique : Erik Satie, John Cage

Lumières et régie générale : Christophe Poux

Son : Eric Aureau

Costumes : Florence Bruchon assistée de France Chevassut, Marine Gressier, Aude Bretagne

Interprétation danse : Roméo Agid, Marie Orts, Clément Lecigne

Interprétation musique : Sandrine Legrand, Jérôme Granjon

Interprétation chant : Dominique Brun

 

Durée : 50 minutes

Les 23 et 24 mai 2023 à 20h

 

Théâtre Municipal Berthelot – Jean-Guerrin

6, rue Marcelin Berthelot

93100 Montreuil

Tél. 01.71.89.26.70

 

 

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