À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Dans la solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltès, mis en scène par Charles Berling, Théâtre 14

Dans la solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltès, mis en scène par Charles Berling, Théâtre 14

Juin 21, 2021 | Commentaires fermés sur Dans la solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltès, mis en scène par Charles Berling, Théâtre 14

 

© Nicolas Martinez

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Charles Berling connaît bien les textes de Koltès. Il a joué Roberto Zucco en 1995, puis s’est attaqué dix ans plus tard à Dans la solitude des champs de coton en ayant initialement l’idée avec Léonie Samaga de faire jouer le rôle du Dealer par une femme, alors qu’il a été écrit par Koltès pour un homme (noir). Charles Berling propose au Théâtre 14 une re-création de ce texte devenu dès sa première création par (et avec) Patrice Chéreau en 1987 (aux Amandiers) un des grands textes du théâtre contemporain.

Comme toute l’œuvre de Koltès, c’est une pièce qui se lit autant qu’elle se regarde et s’écoute, car la joute verbale qui s’installe tout le long est à la fois très littéraire et dramaturgique.

Les deux monologues, du Dealer et du Client constituent un texte à la fois facile et exigeant, limpide et énigmatique, poétique et glaçant. Un territoire, deux univers, deux vies qui se croisent, se narguent, se défient, se mesurent, mais ne se rencontrent jamais vraiment dans un paradoxal mouvement d’attraction-répulsion. Deux êtres anonymes, jamais nommément identifiés, autrement que par leurs fonctions ou identifications pseudo sociologiques, qui viennent personnifier la fameuse loi de l’offre et de la demande.

La mise en scène de Charles Berling parvient à bien poser cet affrontement subtil. En particulier, le choix de faire arriver le Client par la salle est extrêmement pertinent. Car incontestablement, le Client vient du dehors, de l’ailleurs, il se dirige vers un territoire qui n’est pas le sien, hésite, tergiverse et cela se traduit corporellement. Charles Berling qui joue ce rôle insiste bien sur ce malaise, de manière peut-être même trop appuyée, à la fois dans les piétinements et les hésitations verbales, dont on ne sait pas très bien au bout d’un moment si elles sont volontaires ou fortuites. En tout cas, cela a pour effet (surtout pour ceux qui ne connaissent pas le texte) de bien souligner la faiblesse initiale du personnage face au premier qui démarre la pièce en s’imposant, le Dealer. En l’occurrence, c’est une « dealeuse » en la personne de la solaire (dans un rôle qui ne l’est pas) Mata Gabin, dont il faut dire d’emblée qu’elle est sensationnelle et aboutit à magnifier son rôle et lui donner une autre consistance que celle qui ressort de la seule lecture de la pièce ou d’autres interprétations (masculines et blanches). Dans son pantalon treillis (pour symboliser le côté masculin ou brutal de la fonction ?) et haut coloré (touche de féminité, sensibilité ?), la voix de la comédienne surgit, s’impose, ne sort pas seulement de sa bouche, mais de tout son être qui inspire et expire le texte, lequel s’incarne, se transmet par ses graves, et enchaîne les mots aussi naturellement que sa silhouette se meut sur le plateau. Il y a quelque chose de très sensuel dans sa gestuelle, cohérente avec le désir (plus prosaïque) que le Dealer doit susciter, et une forme de séduction qui est son instrument.

La scénographie est épurée, les décors réduits au minimum (un lampadaire qui donne un peu de lumière dans la nécessaire obscurité ambiante), les effets sonores plus imposants pour marquer les moments importants du texte (la veste, le toucher du bras, le crachat), une seule fois accompagnés d’une danse quasi tribale du Dealer que l’on aurait bien aimé voir se reproduire et qui allégoriquement impose sa puissance et l’inversion du rapport maître-esclave.

Cette production est une belle occasion de découvrir Dans la solitude des champs de coton pour les spectateurs qui n’auraient jamais vu ou lu la pièce, et pour les autres de repérer une comédienne que l’on a hâte de revoir.

 

 

© Nicolas Martinez

 

Dans la solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltès

Mise en scène : Charles Berling

Conception : Charles Berling et Léonie Simaga

Collaborateur artistique : Alain Fromager

Décor : Massimo Troncanetti

Lumières : Marco Giusti

Son : Sylvain Jacques

Assistante à la mise en scène : Roxana Carrara

Regard chorégraphique : Frank Micheletti

Avec : Charles Berling, Mata Gabin

 

Durée 1 h 15

Jusqu’au 26 juin 2021

 

 

Théâtre 14

20 avenue Marc Sangnier

75014 Paris

Location 01 45 45 49 77

www.theatre14.fr

 

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed