ff article de Denis Sanglard
Avec Thierry Collet, la magie c’est bien plus que de la magie. Dans la peau d’un magicien, c’est l’histoire d’une vocation, depuis l’âge de raison, 7 ans, où bricoler des antisèches comme autant de tours de passe-passe – pas vu, pas pris – participait déjà de la magie. Ça commence fort. Enfermé et filmé dans une boîte que des javelots de bois traversent, Thierry Collet, plié en quatre croit-on, explique, non le tour lui-même, mais les sensations procurées, entre crampes et manque d’oxygène mais surtout cette jubilation d’être là au centre d’un mystère. C’est d’ailleurs ça, sans doute, le centre de sa vie et de son art, ajouter au mystère du monde qui le captive tant, il le dit, un autre mystère dont il serait, comme dans cette boîte étroite, le cœur battant.
Celui qui rêvait d’être « Dark Vador » plutôt que « Ma sorcière bien aimée », plus proche au fond d’Harry Potter, explique avec l’humour qui le caractérise, le cœur de son métier, une vie consacrée à un art exigeant, une pratique gestuelle et corporelle qui vous confronte à l’impossible, au défi permanent. Avec cette obstination première de comprendre comment ça marche tout ça, pas seulement pour le reproduire mais pour observer combien cela joue profondément sur l’imaginaire collectif, au risque de la manipulation, comme il le démontrait, alors mentaliste, dans influences (http://unfauteuilpourlorchestre.com/des-illusions-influences-de-thierry-collet-au-theatre-de-la-cite-internationale/). Et son imaginaire à lui, quand il observait de grands magiciens et sa fascination pour la grande illusion. Il ne dévoile pas grand-chose dans ce nouveau spectacle, à peine quelques indices, ou simplement quelques bases pour illustration de ce travail assidu pour la précision du geste, l’entraînement purement technique qui amène à l’illusion parfaite. C’est d’ailleurs ça qui est bien, c’est qu’il ne nie pas le truc, jamais, et en cela réside le paradoxe. On le sait que c’est truqué, puisqu’il le démontre, mais l’acceptation de le savoir comme de le refuser, fait partie déjà de l’illusion et de la manipulation du public. Thierry Collet ne l’ignore pas qui entretient sciemment une part de notre innocence et d’ignorance, ne dévoilant au fond rien que nous ne sachions ou refusons de voir. Pour preuve, on est bluffé du tour de carte qui suit, époustouflé par sa maîtrise et cette façon volontairement retorse d’amener le public, habile retournement, pas vraiment là où il s’y attendait au vu de la démonstration qui précédait.
Dans cette performance magistrale, Thierry Collet réalise les tours, comme autant de défi envers lui-même, avec la même constance d’aller plus loin, s’inscrire dans une filiation admirative. Le barmaid du diable, tour impressionnant, en est un exemple qu’on n’expliquera pas ici, juste pour garder le secret et attiser la curiosité, qui de Houdini jusqu’à lui n’a eu de cesse d’évoluer. Et dans cette mise à nu de son histoire, où l’intime rejoint naturellement son métier, le nourrit, et réciproquement, l’un n’allant pas sans l’autre, c’est véritablement à poil qu’il termine pour un numéro de cartes comme surgissant du néant, veut-on croire, où la dextérité et la manipulation atteint ici dans ce dénuement absolu une remarquable épure. C’est aussi la magie ici qui est mise à nue, dispensée de tout artifice, réduite à son expression la plus pure, à sa vérité première. Thierry Collet inscrit la magie dans la théâtralité, il le confie, et c’est dans ce rapport singulier avec le public, cet échange particulier, voire de complicité, qu’il construit cette performance qui oscille entre l’illusion et la réalité, cette entre-deux troublant où s’engouffre l’imaginaire. Le Bateleur qu’il était, première carte du Tarot divinatoire représentant l’apprenti est enfin devenu le Fou, la dernière carte, le magicien accompli. Et si la boîte reste ouverte au long de cette performance, le mystère, lui, reste entier.
Dans la peau d’un magicien, conception et interprétation de Thierry Collet
Mise en scène d’Éric Didry
Scénographie :Élise Capdenat
Création lumières : Sylvie Carot, assistée de Luc Jenny
Régie générale et construction : Patrick Muzard
Construction magique : Christian Cécile
Collaboration artistique et technique : Rémy Berthier
Collaboration au développement du projet : Clara Rousseau
Conseil chorégraphique : Nathalie Pernette
Régie lumiére et son : Yann Struillou
Assistanat magie : Dylan Foldrin
Administration : Paul Nevo
Du 11 au 27 mai 2023
A 20h30, dimanche 15h30
Relâche les lundis
Théâtre du Rond-Point
2bis av. Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 21
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