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Cry me a river, de Sanja Kosonen, mis en scène par Sanja Kosonen, Le Monfort Théâtre

Mai 20, 2022 | Commentaires fermés sur Cry me a river, de Sanja Kosonen, mis en scène par Sanja Kosonen, Le Monfort Théâtre

 

© Sébastien Armengol

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Cry me a river de Sanja Kosonen n’évoque pas musicalement le standard de jazz à jamais immortalisé par Julie London, mais bien son instrument principal : les larmes. Celles que l’on cache, celles que l’on retient ou au contraire celles qu’on laisse couler comme les pleureuses finlandaises de Carélie qui auraient inspiré la créatrice du spectacle, lequel se joue au Monfort Théâtre où se succèdent décidément de bien intéressantes créations circassiennes (en dernier lieu le très beau De sueur et d’encre du cirque Barcode).

Dans une scénographie extrêmement riche et élaborée (presque trop), différents numéros prennent place, de corde, jonglage, trapèze et danse sur fil, qui ne visent ni l’esbroufe ni la prouesse technique, en dépit de l’évidente excellence de chacun des six artistes, mais au contraire se fondent en quelque sorte dans le décor. La particularité et la singularité de Cry me a river est en effet d’être un spectacle pluriel, mêlant différents arts, compétences et techniques, ce qui n’est certes pas inédit dans le cirque contemporain, mais qui est particulièrement sensible dans cette création. Différents tableaux se succèdent, qui ont en commun une esthétique très travaillée, à la fois par les créations vidéo, les lumières, les clairs et les obscurs, les ombres portées et la lumière crue. Le premier tableau (muet) est visible par les spectateurs dès leur entrée dans la salle : à cour, un homme allongé, près d’un arbre dépouillé, tenant à bout de bras une grosse pierre, puis debout, et enfin assis recroquevillé avant de se recoucher sur le sol. L’effet est assez saisissant pour que dans des commentaires murmurés par des spectateurs avant le début du spectacle, les paris soient pris notamment sur le caractère factice ou non du « caillou ». Ce dernier a de l’importance puisque le spectacle se terminera par la présence de tous les artistes sur scène « jouant » avec des pierres de tailles diverses. La symbolique ou la signification ne relèvent pas de l’évidence, à moins qu’il n’existe un équivalent finnois de l’expression française « malheureux comme les pierres » ou « faire pleurer les pierres »…

Le texte est rare, en plusieurs langues (anglais, français, espagnol) en voix off ou délivré sur le plateau par les artistes sonorisés. Il est d’abord poétique (« la couleur » de la larme, « débordante », « fruitée », « guerrière », « battante »…), parfois drôle (la répétition du « we are gathering today » du prédicateur), parfois informatif (« les femmes pleurent en moyenne cinq fois par mois »), débité, chanté ou crié, voire pleuré. La musique est très présente, à la fois sur scène avec un instrument à caisse plate et cordes pincées (probablement le kantele, un instrument finlandais traditionnel de la famille de la cithare), joué à trois reprises par la trapéziste et via la bande son qui est une envoûtante création de Sami Tammela. On reste vraiment hypnotisé dans plusieurs scènes (notamment celle presque inquiétante du jongleur avec en arrière-plan les projections crépusculaires d’arbres et d’oiseaux et celle qui suit de la femme à la jupe géante) et globalement pendant les deux tiers du spectacle.

Le dernier tiers est plus étiré et on peut avoir la sensation de s’égarer, de perdre le fil de l’histoire, qui n’en est pas vraiment une, où déjà plusieurs choses nous avaient échappées, sans que ce soit pour autant gênant (la robe revêtue par la trapéziste au début ; l’ours géant époux…), jusqu’à ce que la scène des oignons devienne olfactivement très gênante et dont l’évidence (et donc la surabondante explication de texte sur les larmes déclenchées par l’émotion versus les sécrétions provoquées par une protection réflexe) fait perdre la magie de ce qui précédait. Le dépouillement final ni ne choque, ni n’émeut et semble bien stérile par rapport au cœur du spectacle qui était assez conceptuel tant dans sa forme esthétique que sur le fond. C’est dommage. Si on sait gré à Sanja Kosonen de ne pas avoir achevé son Cry me a river par un extrait du tube d’Arthur Hamilton, on regrette qu’elle n’ait pas choisi d’assumer jusqu’au bout l’ambition conceptuelle de sa première création, en l’achevant soit par une référence plus appuyée à la philosophie et la psychanalyse, soit en ouvrant son propos par une allusion à une autre dimension collective des larmes, celle des « peuples en larmes, peuples en armes » pour reprendre l’expression de Georges Didi-Huberman. Quand les larmes deviennent colère et se transforment en lutte…

 

© Sébastien Armengol

 

Cry me a river, de Sanja Kosonen

Mise en scène de Sanja Kosonen

Création lumière : Julien Poupon

Création musique : Sami Tammela

Création vidéo : Muriel Carpentier.

Création costumes : Mickaël Lecoq

Scénographie : Sanja Kosonen, Muriel Carpentier

Assistante à la mise en scène : Marylou Thomas

Regard extérieur : Minja Mertanen

Conception, construction structure : Jérémie Bruyere, Muriel Carpentier, Alice Carpentier, Michel Carpentier

Avec : Nedjma Benchaib, Jérémie Bruyere, Muriel Carpentier, Sanja Kosonen, Sam-po Kurppa, Inka Pehkonen, Olli Vuorinen

 

 

Durée 1 h 20

Jusqu’au 25 mai 2022, à 20 h 30, relâche le 22 mai

 

 

 

Le Monfort Théâtre

106 rue Brancion

75015 Paris

www.lemonfort.fr

 

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