Critiques // Critiques. « Dialogues d’exilés » de Bertolt Brecht, au Théâtre de l’Epée de Bois

Critiques. « Dialogues d’exilés » de Bertolt Brecht, au Théâtre de l’Epée de Bois

Nov 09, 2012 | Aucun commentaire sur Critiques. « Dialogues d’exilés » de Bertolt Brecht, au Théâtre de l’Epée de Bois

Critique de Bruno Deslot

Deux allemands se rencontrent au buffet de la gare d’Helsinki pour enquiller des bières et pousser la chansonnette. Ziffel se présente comme physicien et intellectuel, Kalle (diminutif de Karl-Heinz (premier prénom du valet de Puntilla)) est un ouvrier autodidacte passé par toutes les formes de luttes sociales et politiques !

Une parole en exil

Roland Barthes et Bernard Dort ne s’y sont pas trompés : ils ont perçu en ces Dialogues d’exilés, toutes les qualités d’une œuvre majeure. Brecht écrit cet ouvrage alors qu’il est déchu de la nationalité allemande et contraint à l’exil en Finlande, en 1940. Cette pièce est publiée après sa mort et l’auteur ne la monte même pas ! Une proposition complexe à maîtriser scéniquement tant la place de l’écriture y est importante et subtile. C’est avant tout un théâtre épique et didactique, peut-être le plus réussi chez Brecht et qui permet de jouer chaque scène séparément. Comme en peinture, la succession des chapitres correspond à une succession de couches, de précisions dans l’analyse et dans la description des personnages. Ils ne sont pas juxtaposés. C’est de la pure dialectique, on définit, on sépare, on ne parle que de ce que l’autre admet, on construit une nouvelle définition qui devient un instrument de travail sur soi et sur le monde. Une relation scène/salle dans laquelle les spectateurs deviennent acteurs de leur propre histoire, théâtralise le propos de manière classique.

Deux mecs en roue libre

La conversation entre les deux personnages, Ziffel, le physicien social-démocrate et Kalle, l’ouvrier communiste se poursuit indéfiniment pendant toute la nuit à siffler des bières au comptoir d’un bar éloigné d’une guerre pourtant omniprésente. L’œuvre reste ouverte et Olivier Mellor a compris qu’il pouvait faire jouer textes et musiques, alterner des musiques de Kurt Weill, tout en les mêlant à des airs de Léo ferré ou Jean Yanne, sans compter les créations musicales de la Compagnie du Berger, tantôt jazzy, tantôt mélancolique. La voix vacille, les notes ne sont pas toujours justes mais l’intention est réelle. Mains dans les poches, droits, face public, les deux comédiens (Olivier Mellor & Stephen Szekely) tentent l’improbable en explorant une manière de dire le texte de Brecht plutôt que de l’interpréter. On a le sentiment d’assister à une scène des Diablogues de Dubillard. On pressent une volonté affirmée de se situer dans une dimension absurde et répétitive qui crée le comique de situation. L’ensemble peine à atteindre sa cible. Certes, la scénographie se prête à une ambiance plutôt potache, où la bière coule à flots et la musique rythme le propos de la pièce, mais toujours avec une certaine retenue qui ne fait que souligner les effets de styles pesants d’un capharnaüm pourtant bien pensé. Des planches jointes comme sur un radeau pour les fuites en avant des personnages, les rails menant jusqu’aux camps de la mort, des fûts de bière dispersés ça et là sur la scène, entre cuivre et instruments de musique. Un rideau rouge pailleté de tripot et en fond de scène, une toile représentant une ville. On a  simplement envie d’un peu moins de pudeur dans le jeu des comédiens et davantage de laisser-aller afin d’entendre le texte de Brecht, d’une grande intelligence, et d’apprécier encore plus l’équipe de musiciens très talentueuse.

Un spectacle qui ne demande qu’à murir au fil des représentations et l’on n’en doute pas une seule seconde, car la Compagnie du Berger fait preuve d’une grande générosité sur scène.

Dialogues d’exilés
De Bertolt Brecht
Texte publié chez L’Arche Editeur
Mise en scène : Olivier Mellor
Texte français : Gilbert Badia & Jean Baudrillard
Avec : Olivier Mellor & Stephen Szekely
Musiciens : Séverin « Toskano » Jeanniard, Romain Dupuis
Lumière : Benot André
Son : Séverin Jeanniard
Arrangements : Séverin Jeanniard, Romain Dubuis
Scénographie : Alexandrine Rollin, Noémie Boggio
Costumes : Hélène Falé
Du 6 au 18 novembre 2012
Locations : 01 48 08 18 75
Théâtre de l’Epée de Bois
Cartoucherie de Vincennes
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
www.epeedebois.com

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