Critique de Camille Hazard
Pérégrination artistique et mise à nu intime.
En 2010, le Louvre invite Patrice Chéreau à investir le musée.
Expositions, lectures, danse, musique et théâtre se concentrent autour de son programme les visages et les corps.
Cette œuvre totale » qui, pendant plusieurs mois fera tresse avec l’enceinte des galeries du Louvre, ses peintures, ses statues, ses vestiges, donnera naissance à des textes, appelés du même nom les visages et les corps.
Patrice Chéreau démarre ce journal intime un an avant que débute l’aventure, le 18 mars 2009.
Quel sens donner à ce projet ? Quelle place offrir aux corps dans ces dédales de couloirs et de salles? Quels rapports entre les visages peints, sculptés, gravés, immortalisés et ces visages d’acteurs, de musiciens, de plasticiens, de danseurs, en perpétuels mouvements? C’est à partir (entre autres !) de ces réflexions que Chéreau échafaude sa pensée. Cet événement devient le point de départ d’une pérégrination intellectuelle et intimiste.
Une pensée en entrainant une autre, nous partons, au fil des lignes, à la rencontre de personnages, de spectacles, d’amis qui ont côtoyé sa vie. L’artiste se souvient et nous fait partager.
Au travers d’expériences cinématographiques, théâtrales mais aussi amoureuses ! Chéreau se pose des questions, nous pose des questions, interpelle, remet en cause. Une pensée toujours en mouvement. Ces visages et ces corps qui peuplent sa vie, ses créations, se donnent à voir par petites touches. Nous les apercevons au détour d’une pensée, d’un souvenir, mais à peine apparaissent-ils que déjà d’autres contours, d’autres entités, se dessinent.
L’acteur Philippe Calvario tient merveilleusement bien le rôle du lecteur incarné. Son jeu savamment dosé, permet aux spectateurs d’entrapercevoir Chéreau sans le visualiser complètement. Tout en faisant vivre le narrateur, tout en empoignant le texte, Philippe Calvario garde une humilité touchante ; celle de ne jamais se mettre en avant. Acteur convaincant au service des mots et des pensées de son auteur !
Le plateau de la petite salle Christian Berard a été pensé comme un grenier dans lequel trainent de vieilles chaises, tables, de vieux tapis poussiéreux, un mannequin d’enfant posé dans un coin, pas tout à fait oublié. Au fil des rencontres, des endroits parcourus, ce grenier sombre meurt et fait apparaître un café, une terrasse, un bureau sur lequel fourmille l’activité créatrice. Chéreau, les lieux, les personnages sont autant de rencontres émouvantes car nées de la nécessité de transmettre ces mots.
On se laisse finalement transporter dans des pensées limpides, justes, on se surprend à rêver à des personnages shakespeariens, on divague, on entame une réflexion sur le métier de comédien et sur son enjeu : « représenter ce qui n’est pas représentable et ce qui fait peur.» Des passages intimes sur l’amour, sur la sensation douloureuse du manque de l’autre, de son absence, lient l’homme de l’art à l’homme de chair ; les deux étant indissociables. « Le manque, sœur de l’avidité », la peur de l’abandon, de la mort, autant de moteurs qui accompagnent cette soif perpétuellement inassouvie de créer.
Les visages et les corps
Texte de Patrice Chéreau
Lecture et mise en espace de Philippe Calvario
Editions Flammarion – 2010Du 30 mai au 2 juin 2012 – tous les jours à 20h00
Théâtre de l’Athénée
Square de l’Opéra Louis-Jouvet
7, rue Boudreau – 75009 Paris
Réservation 01 53 05 19 19
www.athenee-theatre.com
www.editions.flammarion.com