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Critique ・ Re : Walden de Henri David Thoreau, Jean-François Peyret, Théâtre de la Colline

Jan 19, 2014 | Aucun commentaire sur Critique ・ Re : Walden de Henri David Thoreau, Jean-François Peyret, Théâtre de la Colline

Critique Anna Grahm

Walden

« Lorsque nous avons perdu le monde nous commençons à nous trouver » Thoreau

En 1845, L’auteur, Henri David Thoreau décide de s’éloigner de la compagnie des hommes pendant 2 ans et 2 mois.

Tout le long de l’avant scène une armada d’ordinateurs, table de mixage, pianos et des acteurs. Attention rien n’est donné d’emblée. Avant de commencer, on désosse le texte, on déstructure, on cherche à dire, on sollicite la mémoire. Le ton est donné : c’est un exil. Un recommencement. Sur grand écran, des arbres et de l’eau, sur l’écran, les arbres de l’étang de Walden où l’auteur a élu domicile. Les acteurs se partagent une parole accidentée, des bribes nous parviennent, ils hésitent, se coupent, se reprennent. Ils cherchent sans cesse le bon sens des mots, leur démarche est heurtée, on cherche à les suivre, mais on tâtonne et trébuche à cause d’eux. Où veulent-ils en venir ? Pourquoi est-ce que l’on est aussi paumé ? Que veulent-ils nous dire exactement ? Plus on cherche à comprendre, plus on se perd. À ce stade, il y a deux solutions. Ou, on se laisse porter, ou, on se lève en pestant qu’on y comprend rien. Pour faire l’expérience proposée ici, il faut accepter d’effacer les repères, accepter d’être déstabilisé. Cette façon de procéder nous fait partir dans tous les sens, un peu comme si on voulait tester notre endurance.

Combien de temps va-t-on tenir ? 

Devant nous défile le changement des saisons, se succèdent des plans fixes à un rythme effréné, des arbres de l’étang. « La nature ne pose pas de question ». Nous si. Affleure la question de l’étang. Surface et superficialité. Les reflets. L’effet miroir. De ce que nous regardons. De ce que nous n’avions pas vu. Interroge notre construction individuelle et nos constructions collectives. Une lecture « astronomique ».  Qu’en est-il de notre propre cabane. De la contemplation. De notre façon d’appréhender le monde, de « l’étendue infinie de nos rapports ». Sans cesse nous sommes rappelés à la nécessité de nous adapter. L’alternance des images, du son et de l’exercice de traduction des acteurs, exige une certaine plasticité, nous montre l’exigence du cheminement intérieur. Sa discontinuité. Son immense difficulté. Nous regardons la surface de l’eau en ignorant ce qu’il y a au fond. Les étendues répétées de l’étang allongent, ouvrent nos sens. De l’aube à la nuit, de l’hiver enneigé à la lumière de l’été, la nature recommence son ouvrage. Nous recevons sa force, nous percevons ce qu’elle peut nous apprendre.

Mais les lignes étirent plus loin les perceptions. La technologie prend le relais, et en lieu et place de la nature, nous projette dans un monde sans chair. Nous projette dans une autre vie. Nous voilà comme des Sims, à l’ère virtuelle, de simples avatars de nous-mêmes. Est-ce là notre nouvelle façon de nous retirer du monde ? Est-ce là une nouvelle forme de misanthropie ?

« La grande majorité des hommes mène une vie de désespoir tranquille » nous dit l’auteur. Est-ce là le tournant de l’époque 2.2 ? D’être des no life. La perspective dans laquelle nous entraine Jean-François Peyret, nous indique la transformation de ces nouveaux humains. Nous plonge dans un tout possible digital, démesuré. Assurément dans ce spectacle, on ne sait pas où l’on est, ni vers quoi on va. Mais ce que l’on sait, c’est que l’on s’arrache de cette réalité augmentée, par la grâce de la poésie.

Ne vous attendez pas à un récit. Ne vous attendez pas à voir l’homme des bois. Non. Vous serez désorienté, dérouté, presque complètement dépaysé. Si vous êtes perdu, il faudra vous débrouiller. Vous serez seul face à cette forêt de phrases, confronté à vos représentations, noyé par les multiples variations de la réécriture, repêché de justesse par une canne à pêche puis rendu à votre liberté de « vous trouver » ou pas.

Re : Walden
Un spectacle de Jean-François Peyret
Avec Clara Chabalier, Jos Houben, Victor Lenoble, Lyn Thibault
Et en alternance au piano Alexandros Markeas et Alvise Sinivia

Jusqu’au 15 février
Du mercredi au samedi à 21 h –  Mardi à 19 h –  Dimanche à 16 h

Théâtre de la colline
15 rue Malte Brun paris 20ème
Métro : Gambetta
Réservation au 01 44 62 52 52
www.colline.fr

 

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