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Critique ・ La maladie de la mort, Marguerite Duras, Théâtre du Vieux Colombier

Jan 18, 2014 | Aucun commentaire sur Critique ・ La maladie de la mort, Marguerite Duras, Théâtre du Vieux Colombier

Critique Djalila Dechache

Duras

Ce texte écrit en 1982, époque où Marguerite Duras déprime et souffre beaucoup physiquement, « dicté phrase par phrase, parfois en semi-coma, à son compagnon Yann Andréas », traduit la difficulté d’aimer, le désir mais plus encore la difficulté des hommes à s’abandonner, pour reprendre le mot du metteur en scène, Muriel-Holtz.

Ce n’est pas un texte de théâtre, d’où le défi de porter à la scène le monologue d’un homme. Nous sommes dans une chambre avec un lit. Une femme entre, la tête recouverte de son imper, elle se laisse tomber sur le lit, elle porte des sandales rouges. Elle se redresse, se déchausse, se masse le  pied, se déshabille. Elle vaque à des gestes simples, se met au lit, s’enroule dans les draps, bras étendus au-dessus de la tête. Cela ressemble à un film. Sur le mur du fond, une vidéo en noir et blanc montre une personne, jambes enfantines dans des bottillons, jusqu’au visage d’adulte aux yeux baissés. C’est Marguerite Duras. L’homme arrive, en chemise. Pendant qu’il parle on entend le cri de mouettes, le ressac de la mer. Il parle de la femme. Et de lui. Un contrat d’argent les lie, « le contrat des nuits payées parce que vous êtes atteint de la maladie de la mort » aurait dit la femme. Il n’a jamais désiré une femme, il n’a jamais regardé une femme. Il connaît le sexe de la femme. Il l’a vu. Il connaît la jouissance de la femme. Il ne veut plus l’entendre.

Elle dort lorsque lui pleure. Tout est dit.

Le paysage de la vidéo se transforme en paysage de neige, les icebergs et ses ours, ses phoques, un avion léger vrombit et rase la glace. Un couple, un homme et une femme, nus, apparaissent, image incrustée qui tourne au centre de la vidéo, ils sont très roses, ils ont des corps et des poses datés. Il y a de l’obscénité dans ces images roses, tournantes, incrustées, de corps nus. Puis la femme se lève et s’en va, telle quelle. L’homme, s’approche et tombe en arrière sur le lit, sur l’empreinte laissée. Sa voix change, devient pénible, criarde, aigüe. Son visage devient rouge. Elle n’est plus là mais lui est à la place de la femme dans les draps défaits et tièdes encore. Ils ne se rencontrent pas. Ils sont constamment décalés.

En 1997, Bob Wilson avait réalisé la création de ce texte avec Michel Piccoli et Lucinda Childs, à la MC93 Bobigny. Une mise en scène qui a marqué les esprits, notamment par la couleur bleue si caractéristique de son univers et ces visages blancs, qui emportaient le public.

Aujourd’hui Muriel Mayette-Holtz a travaillé avec Mathias Langhoff à la mise en scène afin de donner trois niveaux de lecture : en fond de scène avec le film projeté, une femme dans une chambre et au premier plan, l’homme qui nous dit sa difficulté d’aimer. Ces niveaux superposés, fonctionnent en même temps ; ils évitent l’identification mais font résonner le texte et la grande solitude des personnages. Alexandre Pavloff, l’homme, réussit sa partition, loin d’être facile, d’autant qu’il a tout le texte sur ses épaules. Suliane Brahim, la femme, n’a ni texte ni présence et pourtant elle tout le temps sur la scène.

On sort du spectacle comme on sort d’une traversée c’est-à-dire assez éprouvé par le texte et la vue de cet homme naufragé de son mal de vivre, de son mal d’aimer. Malgré tout, on a la sensation que « La maladie de la mort » à la Comédie Française est un spectacle qui ne fera pas date: il laisse le public avec une part manquante, celle de la théâtralité.

À noter que dans le dossier de presse il y a un montage photo très beau de Laurence Calame. Il montre les visages de Marguerite Duras en 10 variations, le premier où enfant elle ne regarde rien parce que trop petite et le dernier où elle ne regarde plus, un œil quasiment fermé par l’âge. C’est peut-être cela aussi la maladie de la mort, ce décalage entre deux états, entre deux impossibilités.

 

Dans le cadre des Rendez-vous contemporains

La Maladie de la mort
DeMarguerite Duras
Mise en scène de Muriel Mayette-Holtz
Collaboration artistique Matthias Langhoff
Costumes Virginie Merlin, Musique originale Cyril Giroux, Son Anton Langhoff,
Avec Alexandre Pavloff et Suliane Brahim

Juqu’au 29 janvier 2014 à 20h – Mardi à 19h – Dimanche à 16h

Théâtre du Vieux Colombier
1 rue du Vieux Colombier, Paris 6è 
Métro : Saint Sulpice
Location 01 44 39 87 00
www.comediefrancaise.fr

 

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