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Critique ・« Christophe Alévêque dit tout » de Christophe Alévêque au Théâtre du Rond Point

Jan 21, 2014 | Aucun commentaire sur Critique ・« Christophe Alévêque dit tout » de Christophe Alévêque au Théâtre du Rond Point

ƒ Critique Anna Grahm

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©Giovanni Cittadini Cesi

« La société de consommation a réussi là où le fascisme a échoué » Pasolini

 

Il arrive en moto et appelle sa dulcinée, il est rue du cirque et attend Julie. Le public est immédiatement conquis. Une seule image aura suffit pour qu’il hurle de rire. Il faut dire qu’il est servi notre comique par tout ce cirque. Il faut dire que c’est du pain béni, cette histoire de deux maîtresses.

Dès le début, l’amuseur convoque la connivence du public et si il y en a une qui n’a rien vu venir, le spectateur, lui, voit très bien de quoi il retourne. L’homme debout à son pupitre, fait le pitre, ne sait plus comment dire tout ce qui l’épate, l’effare, le suffoque. Estomaqué, il ébauche un ventre rond sous sa veste boutonnée, reste là comme deux ronds de flanc, tout éberlué, et l’on reconnaît instantanément celui qu’il n’a point nommé.

Il annonce qu’il va improviser, se contredire et qu’il n’a pas de limite. Aïe. Comme il a promis de tout dire, on craint que ça dégénère. D’entrée, il fait le bilan de la démographie mondiale sans oublier de rappeler que sur les 7 milliards, beaucoup mangent très peu. Les rires dans la salle sont un peu affectés, mais notre homme continue de détricoter sa revue de presse sans se déballonner. Journal du jour en main, le sympathisant socialiste transforme la noirceur du pays en optimisme.

Alors évidemment lorsqu’il entreprend de décliner les mots les plus importants de l’année, qu’en tête de liste, il y a le fameux « allo » de Nabilla, la fraude, le mensonge, le burn-out et tant d’autres qui pourraient nous effondrer, il n’omet pas de se réjouir du temps libre dédié à la fornication.

Il faut dire que le « bicker niqueur » n’a pas sa langue dans sa poche, et s’il utilise les verbes sucer, tirer, baiser c’est la faute aux deux roues, s’il parle de cul c’est dit-il qu’on l’a inspiré. Tout à son rôle de bouffon du roi, il n’hésite pas à détrousser entre les lignes, traque le mensonge, relève les travers de langage, ponctue chaque vacherie d’un large sourire, installe ainsi un second degré, afin de créer la distance nécessaire pour appréhender toute cette violence verbale.

Il est malin le bougre, laisse souvent au public le soin de terminer ses phrases, ne fait souvent que suggérer, et cet entendement tacite nous révèle ce bain de complicités dans lequel nous trempons. Et comme il est super malin, il désamorce très vite notre culpabilité en revenant à « Pépère ». Esquinte les chialeuses en politique, s’arrête sur l’épisode Léonarda, détache Valls du scénario socialiste, évoque, un peu, trop peu « la vraie blonde » du FN.

Et puis. Après moultes circonvolutions. Après avoir longuement hésité, aborde enfin le sujet Dieudonné. La salle est en apnée. L’homme condamne et la haine et l’interdit. S’indigne longuement de la bêtise humaine. Conspue la fripouille. Prêche la tolérance et le vivre ensemble.

Cet homme-là croit définitivement aux progrès. Dézingue tout ce qui les empêche, relève « l’hypocondrie des médias qui se rassurent dans l’angoisse », pointe « la dictature de l’instant ».

Il frappe fort le clown, il cogne avec arrogance, tente de fracturer les consciences cadenassées. Son enthousiasme est contagieux, sa petite ritournelle « ça ira mieux demain » permet de reprendre son souffle, permet de s’extraire de ce tourbillon affolant, permet de nous dire que son combat de trublion est assez révélateur de la dualité de chacun. Il balance le clown, bouscule les puissants, éborgne les prédateurs. Et surtout, in fine, invite le public à poser sa propre responsabilité, l’exhorte à affirmer son refus face aux dérives actuelles du tout dire. Ce qu’il dit sans détour c’est qu’il ne tient qu’à nous, de poser des limites, afin de ne pas nous laisser empoisonner par l’infamie.

Derrière moi, une femme dit qu’elle a envie de pleurer. Il semble que la langue outrancière du comique ait atteint son but. Touché l’humanité. Réveillé le sentiment de solidarité.

Avant de partir, il nous donne rendez-vous le 31 mai au 104 pour « la fête de la dette ». Gageons que d’ici là, on aura trouvé un statut à la première dame et fait une statue à la seconde.

Christophe Alévêque dit tout
Conception, mise en scène et jeu : Christophe Alévêque
Au théâtre du Rond-point
2 bis av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
18 19 janvier à 18h30
15 – 16 mars à 18h30
4 avril à 18h30
16 – 17 mai à 21 h
14 – 15 juin à 18h30
www.theatredurondpoint.fr

 

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