Critique de Rachelle Dhéry
Rapatriés à cause du déluge, c’est dans la magnifique écurie de Bartabas, ornée des lustres de Morano, que nous allons enfin découvrir la toute nouvelle création des Comédiens et Compagnie (« La flûte enchantée », « La princesse d’Elide », « La nuit des rois »…). Fidèle troupe du Mois Molière, c’est avec une joie non dissimulée que les spectateurs impatients s’installent dans ce décor de bois.
« Le badinage est consommé »
« Le Mariage de Figaro », dans la lignée de « La flûte enchantée », où commedia et opéra se côtoyaient de très près, risque de ravir les fans aussi bien que de conquérir un public nouveau. Dans cette mise en scène de Jean-Hervé Appéré, l’œuvre de Beaumarchais est finement agrémentée de l’œuvre tout aussi magistrale de Mozart et Da Ponte « La Nozze Di Figaro » (1786).
« Ce n’est pas moi qui mens, c’est ma physionomie »
« Le Mariage de Figaro » est le second volet du triptyque « Le Barbier de séville », «La Folle Journée ou Le Mariage de Figaro » et « La Mère coupable », que Beaumarchais a écrit sur dix-sept années, de 1775 à 1792. Le Mariage a été écrit en 1784, peu de temps avant la Révolution Française. D’ailleurs, son histoire a souvent été analysée comme indissociable de la révolution. Notamment à travers son personnage principal, Figaro.
Mensonges, quiproquos, stratagèmes et faux-semblants
La trilogie couvre 23 ans de la famille Almaviva. Ici, nous sommes transportés au château d’Aguas Frescas où Rosine est devenue Comtesse, épouse du Comte Almaviva. Figaro est valet de chambre et concierge du château. Il se prépare à épouser le soir même Suzanne : la camériste de la comtesse. Tout semble parfait… sauf que le Comte, séducteur compulsif et jaloux incurable, veut acheter les faveurs de Suzanne en échange du mariage. Marceline, encouragée par Bartholo le tuteur de Rosine, qui veut se débarrasser d’elle, veut épouser Figaro, qui a contracté une dette à son égard. Fanchette, la cousine de Suzanne, est amoureuse de Chérubin le jeune page, qui est amoureux de Rosine, qui ne reste pas insensible… A cela, on ajoute un jardinier saoûl mais pas stupide, un maître de clavecin, Bazile, courtisan à souhaits, un greffier, un huissier, un pastoureau, des jeunes bergères ! Mais, heureusement, en bonne comédie satirique, tout rentre à peu près dans l’ordre : dans une scène de quiproquo nocturne désopilante, grâce à l’ingéniosité de Rosine et Suzanne, les appétits du Comte sont démasqués. La noblesse est abusée, son autorité moquée et la fête peut commencer.
Le mariage n’est qu’ « une bouffonnerie »
La difficulté dans la reprise d’un grand classique de l’histoire, est d’y apporter une petite touche de nouveauté, de fraîcheur, une touche personnelle ou d’être un hommage à l’auteur, dans l’esprit de son époque. Avec Comédiens et Compagnie, on assiste un peu aux trois à la fois. Dans leur version, ce qui saute aux yeux, c’est l’étonnant modernisme de Beaumarchais en son temps, notamment dans la vision chaotique du mariage et dans la place et le rôle qu’il donne à la femme. Beaumarchais féministe ? À méditer…
Un décor fonctionnel à la commedia : une rampe de lumières, une estrade, des rideaux, les musiciens à cour, quelques comédiens à jardin, et le tour est joué. Seule, une chaise posée sur un tapis fait office d’accessoire. Mais quelle chaise ! Tour à tour objet de convoitise, cachette, trône ou simple chaise, déplacée, replacée, re-déplacée, elle devient vite un énième personnage du spectacle, pour le plus grand bonheur des petits, comme des grands. Par contre, une attention très particulière a été portée sur les costumes. Inspirés des peintures de Goya, dans sa première période, ils sont éblouissants dans leurs couleurs vives hispanisantes. Delphine Desnus, la costumière, s’est surpassée ! Chaque personnage est caractérisé par une couleur ou un assemblage de couleur et pas un seul personnage n’a été oublié. Même les musiciens, qui, au passage, sont extrêmement bons (un quatuor à vent interprétant seul, la musique de tout un orchestre), ont leur costume. De même, les masques de Stefano Perocco ont ceci de particulier qu’ils ont été étudiés dans le respect d’une certaine sociologie de la fin du XVIIIè siècle, et s’éloignent quelque peu des archétypes de la commedia.
Pour finir, et pas des moindres, les comédiens-chanteurs ou chanteurs-comédiens, selon la troupe, composée du noyau dur de la compagnie, s’est, à l’instar de « La Flûte Enchantée » entourée de chanteuses lyriques professionnelles. Le cocktail fonctionne à merveille et tout s’enchaîne dans une rythmique parfaitement maitrisée. Tous bons, il n’y a pas de petits rôles et tout le monde est mis à contribution, esprit Molière oblige. Musiques, danses, chants, pantomimes, acrobaties, lazzi, gags, travestissements, tous les ingrédients sont là pour passer un moment de pure détente en famille, et découvrir, d’une façon drôle et intelligente, deux œuvres majeures dans l’Histoire de l’Art.
Le Mariage de Figaro
D’après Beaumarchais, Mozart et Da Ponte
Un spectacle de Comédiens & Compagnie
Mise en scène Jean Hervé Appéré
Assistante mise en scène Mélanie Le Duc
Direction musicale Pierre Gallon
Collaboration artistique Gil Coudène
Chorégraphies Guillaume Jablonka
Pantomime Valérie Bochenek
Décor et masques Stefano Perocco di Meduna
Perruques Alex Bonnefoy
Costumes Delphine Desnus
Lumières Edwin GarnierDISTRIBUTION
Le Comte Almaviva Pierre Audigier ou Pierre-Michel Dudan
La Comtesse Antonine Bacquet ou Marie Albert ou Clémence Olivier
Figaro Antoine Lelandais ou Guillaume Collignon
Suzanne Pauline Paolini ou Bérangère Mehl
Marceline Marie Némo ou Lucy Samsoën
Antonio, Pédrille, Don Gusman Brid’Hoison Fred Barthoumeyrou
Fanchette et double main Agnès Mir ou Lucy Samsoën
Chérubin, flûte à bec Ana Isoux
Bartholo, guitare renaissance Jean Hervé Appéré (+ Cuivres) ou Stéphan Debruyne
Bazile Guillaume Collignon ou Laurent Paolini
Jeunes Bergères Fred Barthoumeyrou , Guillaume Collignon ou Laurent Paolini
Grippe-Soleil, clarinette basse Jonathan Jolin
Clarinette Jean Brice Godet ou Alexandre Authelain ou Laurent Bienvenu
Hautbois Antoine Baudoin ou Emmanuel Rey
Trombone à coulisses Benoît Coutris ou Nicolas Benedetti ou Jean Charles DupuisDans le cadre du Festival du Mois Molière, à Versailles
Les 15,16 et 17 juin 2012Grandes écuries de Versailles
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