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Critique • « La fête « de Spiro Scimone » Collectif De Quark. Festival Impatience au 104

Mai 14, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « La fête « de Spiro Scimone » Collectif De Quark. Festival Impatience au 104

Critique d’Anna Grahm

De Quark. Retenons ce nom prometteur, le nom d’une équipe de cinq personnes qui sont à la fois comédiens, metteurs en scène, qui s’emparent de façon collective des écritures contemporaines, qui par leur interrogation commune, repousse les frontières de la conscience  collective.

La loi du silence


Les quarks ont cette caractéristique qu’on ne les observe jamais seuls, ce sont des particules groupées, soumises aux interactions de la nature. Trois comédiens du collectif De Quark vont s’attacher à nous rendre compte du monde auquel nous sommes assujettis. L’auteur Spiro Scimone, né en 1964 en Sicile nous dit quelque chose de notre époque et nous place face à nos béances et à notre effarante prostration. La force du collectif va s’appuyer sur une mise en scène minimaliste pour nous plonger lentement dans le bain de la Fête, telles des grenouilles dans une casserole d’eau posée sur le feu. Tout commence à pas feutrés. Rien ne semble nous séparer d’eux, ni rideau, ni noir, ils sont dégagés de toute convention théâtrale, et ce qui ressemblait à une ébauche de spectacle, se transforme peu à peu, en une interpellation de notre devenir. C’est donc l’air de rien que les acteurs se glissent sur le plateau nu, texte en main, c’est très tranquillement qu’ils nous font entrer dans l’univers d’un tout petit noyau familial, un père, une mère et leur fils très occupés à presque pas grand-chose. Ils s’accrochent aux mots, s’interrompent, se chevauchent, se taisent, des mots qui très vite s’avèrent être des lignes de fuite, un champ d’absurde, les personnages s’installent, et se révèlent être de drôles d’animaux humains. Enfermés entre leurs quatre murs, dans leur mutisme, étrangement figés, curieusement guindés, ils plongent dans de longs silences qui nous font éclater de rire quand ils devraient nous renvoyer à ceux qu’ils subissent depuis des générations. Mais ici, les non-dit ont depuis longtemps rogné sur l’éducation et si la mère, pivot central du triptyque, ne lâche rien et nous agace et nous amuse, c’est qu’elle sait ce qui guette ses hommes à l’extérieur. Et quand elle les bichonne au point de les étouffer, quand elle déroule sa litanie obsessionnelle, ce n’est pas tant pour les garder près d’elle, mais pour garder en vie l’étincelle d’une humanité chancelante. Et si elle nous agace et nous touche par son omniprésence, par sa façon de monopoliser la parole, c’est pour les excuser, elle minimise et espère que la fête arrosée d’alcool la rendra belle, que son fils fera le choix de la jeune fille intacte qu’elle était, c’est qu’elle rêve pour lui de la petite voisine qui sait coudre et cuisiner. Car la mère prend fait et cause pour chacune des petites lâchetés de ses hommes, devance leurs désirs, les traquent et veille au grain. Car sa tyrannique bienveillance veut leur éviter une tyrannie bien pire, que celle de leur abattement.

Le bruit de la loi

Tout ce qu’on ne peut pas dire, on le dit autrement. Le théâtre de Spiro Scimone détourne la violence latente en écrivant des personnages qui se comportent comme des enfants, des infirmes, des esclaves. De petits bougres qui n’ont pour modèle que des hommes ‘d’honneur’ qui font régner la peur, le crime et le faux témoignage. Les informations mentent dit la mère qui a depuis longtemps abandonné la lecture des journaux du jour. Rien n’est dit par nos héros immobiles, car tous ont appris à ne pas dénoncer, tous en vase clos, tous tragiques et solitaires essaient d’éviter de fréquenter le mal rampant qui les cerne. Ils excellent pour notre plus grand plaisir dans la mauvaise foi et multiplient les réactions incisives vaines. La troupe avec une grande intelligence du jeu avance des êtres bien incapables de se débarrasser de leurs enfermements. Et c’est avec une économie de moyens que les comédiens dessinent le destin d’hommes apathiques qui font sourire. Tout tourne autour de l’estomac qu’il faut remplir, comme si l’estomac devenait le dernier endroit, qu’ils leur restent à investir. Sourde insensiblement une indicible inquiétude quand ils se rabâchent les minuscules buts de leur quotidien, quand le dispositif scénique – qui s’installe à vue et sous les yeux étonnés de leurs acolytes – les met sous les feux des projecteurs. Et quand l’image nous montre en très gros plans le chaos qui les emporte, quand les jeux d’écrans plaquent les enfants pauvres de nos sociétés, qui essaient d’avoir du cran, nous sommes touchés, bouleversés par tant de somnolence, et d’hébétude. Il faut dire que chez ces gens-là, tout est mouvant, tout flotte, et la mère n’en finit pas de repêcher ses empotés, inhibés, n’en finit jamais de les envahir de ses petites attentions comme autant de grandes déclarations d’amour. Il faut dire que chez ces gens-là, le danger rôde, alors on se tient cois, on hérite des peurs larvées, on trinque et on boit entre soi. Et s’ils ne pensent pas c’est qu’on leur a confisqué leurs pensées, s’ils s’engluent dans leurs habitudes c’est qu’ils sont fauchés, s’ils s’effacent c’est à force d’être liquidés. Ambiance surréaliste et comique que cette réalité où l’on ne réagit pas, magnétisme clownesque où l’on regarde le temps passer. Mais la fête n’évacue pas la léthargie, et si elle nous emmène un temps dans son tourbillon d’étoiles et de pétards mouillés, elle sera rattrapée par le Western, soudain le far West s’exprime par des bulles de Bd étalées sur les murs, qui murmurent ses injonctions, soudain la poésie est lettre morte. Rien ne résiste aux mâchoires du dehors qui déchirent toute tentative de vivre ensemble, où les combines font la loi, où l’on efface toute tentative de rébellion.

La fête
De Spiro Scimone
Dans le cadre du Festival Impatience
Avec Séverine Astel, Julien Lacroix, Sébastien Lange, Romain Mercier, Renaud Serraz

Du 11 au 14 mai – Dimanche à 18h- Lundi à 19h

Le Centquatre
5 rue Curial 75019 Paris
Métro :  Riquet ou Stalingrad
www.104.fr

Réservation : 01 53 35 50 00

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