Critiques // Critique • « les Gueux » au Théâtre de l’Epée de Bois.

Critique • « les Gueux » au Théâtre de l’Epée de Bois.

Mai 27, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « les Gueux » au Théâtre de l’Epée de Bois.

Critique de Jean Roissy

La guerre racontée par la chair à canon.

Deux jeunes soldats reviennent du champ de bataille, abîmés, affamés, traqués, plus morts que vivants, jusqu’au village qu’ils voudraient n’avoir jamais quitté. Ils espèrent y retrouver les femmes qu’ils ont laissées en partant, la bouche pleine de promesses de richesses et de retour glorieux. Mais celles-ci, pendant leur absence, les ont remplacés. Elles mangent désormais à leur faim, et sont loin de se réjouir de la réapparition de ces deux ombres d’hommes.

Cette histoire – double – d’un retour de guerre (puisque Karl Eberhard, le metteur en scène, a décidé de faire se rencontrer les personnages de deux des pièces de Angelo Beolco, dit Ruzzante, auteur du 16ème siècle italien) commence quand ces deux soldats, tourmentés et hagards, décident de reprendre le chemin de leur village. On ne sait pas qui est l’ennemi, quelles sont les armées en présence. C’est la guerre vue par ceux qui la font et qu’elle défait, racontée par la chair à canon : les deux compagnons, à qui leurs corps déformés donnent un aspect de monstres de contes populaires, tournent autour de leur passé, gémissent, supplient, menacent, et n’obtiennent rien. On ne les comprend pas: est-ce qu’ils ne devraient pas avoir des cicatrices, des preuves de leur vaillance (à défaut de butin), au lieu de ces corps grotesques qu’ils trainent péniblement, et imposent à la vue ? Leur langage est traversé par cette virulence grossière de cadavres ambulants – tout entier faim, désir, décomposition – que le travail des masques rend plus criante encore. Les mouvements, mais aussi les voix, sont portés par la singularité de ces masques, outrés, qui semblent trouver leur source aussi bien dans la caricature de presse que dans la Commedia Dell’arte. La guitare participe également de ce récit léger et grimaçant : les gestes interagissent avec le rythme qu’elle impose, et en suivent les variations.

Malgré cette présence musicale – qui permet aussi de rentre intelligibles les enchaînements et les espaces successifs –  le dispositif, avec ses coupures, ses alternances de noirs et de lumières, trouble un peu le rythme de la pièce. On regrette de ne pas voir les personnages déborder davantage du plateau, et instaurer avec le public un rapport plus envahissant – peut-être plus proche de l’univers de gueuserie qui est déployé, et revendiqué.

Les Gueux
D’après Bilora, La Moschet, et Retour de Guerre, de Ruzzante.
Mise en scène  Karl Eberhard.
Avec  Sophie Botte, Patrick Boukobza, Loïc-Emmanuel Deneuvy, Karl Eberhard, Kévin Lelannier, Lison Pennec.
Création costumes  Joséphine Pugliesi.
Masques  Loïc Nebreda.
Musique : Patrick Boukobza.

Du 22 mai au 1er juin – Du mardi au samedi à 20h – Dimanche à 16h.

Théâtre de l’Epée de Bois.
Cartoucherie de Vincennes
Route du champs de manœuvre – 75012 Paris
Métro : Château de Vincennes, puis Bus 112, arrêt Cartoucherie
Réservation: 01 48 08 39 74
www.epeedebois.com

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