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Critique • « Dom Juan ou le Festin de pierre » de Molière à la Comédie-Française

Sep 26, 2012 | Commentaires fermés sur Critique • « Dom Juan ou le Festin de pierre » de Molière à la Comédie-Française

Critique de Jean-Christophe Carius

Dom Juan magistralement ressuscité

© Brigitte Enguérand

Don Juan est un mythe. Une sorte de légende pré-urbaine qui a fleuri dans l’Europe du XVIIe siècle. L’histoire dit qu’un jeune noble, bien fait de sa personne et libertin invétéré, défia tant les bonnes mœurs humaines et la morale spirituelle, qu’il fut englouti dans la mort lors d’un dîner surnaturel avec une statue de pierre. Cette fable, très populaire à l’époque, fut contée par maints auteurs de théâtre sous le titre “le Festin de pierre”. Molière lui-même s’en est emparé en 1660 pour faire un coup d’éclat spectaculaire et adresser à ses contemporains une dissertation vibrante sur l’ordre moral dans la société.

Jean-Pierre Vincent met en scène une reprise de cette pièce de Molière. Il élabore une représentation savante, documentée mais pas intellectuelle, qui vise à restituer l’œuvre dans le geste de sa vérité première. Dégageant temporairement les patines esthétiques que l’esprit des époques successives a appliquées sur ce texte et sur le mythe, il révèle l’éclat brut et impressionnant de l’édifice de narration discursive que Molière a échafaudé. La scénographie enveloppe les multiples épisodes de la marche vers l’abîme de Dom Juan et de son valet dans une atmosphère de lumière à la fois franche et diffuse. Les tableaux successifs projettent les formes dépeintes et les couleurs brossées d’un décor aux plans géométrisés. Un bloc immense et omniprésent s’impose, comme une institution indéfinie mais incontournable qui semble présider à l’ordre des choses et des circonstances. Sur cette toile empreinte d’abstraction impressionniste et évaporée, la valorisation précise des intentions de l’auteur, la maîtrise oratoire du jeu des comédiens, la définition concrète des costumes et des accessoires, créent l’étonnante sensation d’une l’œuvre que l’on ausculte, dont on examine chaque détail significatif comme à travers la lentille grossissante d’un microscope.

Pour Molière, le mythe de Don Juan semble le mythe de Don Juan et de Sganarelle. Le valet n’est pas simplement le faire-valoir comique sermonnant inlassablement son maître, le fascinant “serial-séducteur”, blasphémateur et impénitent. C’est la contrepartie indispensable d’une dispute philosophique et existentielle sur l’être au monde social. Une dynamique dialectique que rééquilibre grandement la restauration de la dimension juvénile du personnage de Dom Juan. Maître et valet s’imbriquent alors comme les deux pièces opposées mais complémentaires d’un casse-tête chinois qui, parce qu’il ne parviendront pas à le résoudre, les entraînera tous deux dans une chute, mortelle pour Dom Juan, matérielle pour Sganarelle. Activée avec force par la mise en scène et le jeu des comédiens, cette pièce ancienne s’affirme au présent sans qu’il n’y ait nul besoin de l’actualiser. La méditation philosophique qu’elle dispense sur les tensions entre conventions sociales, ordre moral, quête de liberté et sentiment de supériorité rebondit sur les parois de nos représentations quotidiennes et s’accroche étrangement à des figures contemporaines: l’affaire D.S.K., les traders aux bonus exorbitants, les controverses sur les caricatures de Mahomet, semblent autant d’occurrences présentes du mythe de Don Juan, tel que Molière nous le décrit.

Ainsi, finalement, la mise en scène de Jean-Pierre Vincent ressuscite-t-elle Dom Juan qui, communiant avec Sganarelle, se retire devant nous. Jusqu’à son retour… Car Don Juan est un mythe. Un conte moral inlassablement raconté. Une énigme philosophique qui, comme une vague aux couleurs du temps, roule et reflue sans cesse à nos pieds.

Dom Juan ou le Festin de pierre
De Molière
Mise en scène: Jean-Pierre Vincent
Assistante à la mise en scène : Frédérique Plain
Dramaturgie : Bernard Chartreux
Décor : Jean-Paul Chambas
Collaboratrice artistique au décor : Carole Metzner
Costumes : Patrice Cauchetier
Lumières : Alain Poisson
Son : Benjamin Furbacco
Maquillages : Suzanne Pisteur
Réglage des combats : Bernard Chabin
Avec: Alain Lenglet, Julie Sicard, Loïc Corbery, Serge Bagdassarian, Clément Hervieu-Léger, Pierre Louis-Calixte, Suliane Brahim, Jérémy Lopez, Jennifer Decker, et Jean-Michel Rucheton (la Statue du commandeur)

Du 18 septembre 2012 au 11 novembre 2012
Durée du spectacle : 2h50 avec entracte

La Comédie-Française
Salle Richelieu – Théâtre éphémère
Place Colette, Paris 1er
Métro : Palais Royal
http://www.comedie-francaise.fr

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