Critiques // Critique • Jean Luc Lagarce « De fil en aiguille » au Théâtre Ouvert

Critique • Jean Luc Lagarce « De fil en aiguille » au Théâtre Ouvert

Oct 17, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • Jean Luc Lagarce « De fil en aiguille » au Théâtre Ouvert

ƒƒƒ critique Denis Sanglard

Ébauche d’un portrait, d’après le journal de jean-Luc Lagarceet« Attoun et Attounette » Correspondances et entretiens de Jean-Luc Lagarce avec Dominique H., Micheline et Lucien Attoun

Photo Lagarce 1 © Christophe Raynaud Delage

Jean-Luc Lagarce et Théâtre Ouvert c’est une longue histoire qui perdure encore bien au-delà de sa mort. Lucien et Micheline Attoun, ces défricheurs d’auteurs contemporains indispensables, ces dénicheurs de textes devenus incontournables, vigiles attentifs en  leur Jardin d’Hiver, ont souhaités la reprise d’Ebauche d’un Portrait d’après le Journal de Jean-Luc Lagarce, mise en scène par François Berreur. Mise en scène pleine de pudeur et toute simple, juste, où le metteur en scène s’efface derrière son sujet. Laurent Poitrenaux y est magistral. Il n’est en aucun cas, et c’est tant mieux, le double de Lagarce qu’il tient à bonne distance. Ce portrait est celui d’un homme, d’un écrivain faussement crâne et vrai pudique dont l’humour ravageur, l’ironie cachait à peine les doutes, les interrogations. Le fil d’une vie avec ses espoirs, ses succès, ses échecs. La solitude affective, les amours éphémères. Le combat avec la maladie. Portrait d’un homme, portrait d’un artiste, d’un écrivain et  portrait d’une génération, c’est tout cela à la fois. Une génération fauchée par le sida. Guibert, Basquiat… la liste, scrupuleusement notée par Jean-Luc Lagarce, est longue qui s’affiche sur le mur.  S’affirme au long de ces pages l’écrivain qu’il devient, la naissance d’une écriture. Lucien et Micheline Attoun apparaissent au fil des pages. D’une relation purement formelle, éditoriale,  peu à peu des liens plus affectifs se nouent. Gardiens vigilants et parfois inquiets d’un auteur maison, c’est une relation affectueuse qui se construit autour d’une œuvre dont-ils pressentent l’importance et la nouveauté, la singularité.

Heureuse idée de François Berreur d’adjoindre à cette  Ébauche d’un portrait un deuxième volet. Correspondance et entretiens avec « Attoun & Attounette ». Un vrai bonheur ! Une belle émotion ! Auxquels se prêtent Lucien et Micheline Attoun. Leur correspondance est éclairée de lettres à Dominique H. ami resté au pays de Montbéliard, contrepoint, éclairage plus intime de cette relation entre Lucien et Micheline Attoun, « Attoun et Attounette ». Dans cette dernière s’affirme la volonté d’une œuvre. Correspondance qui voit naître l’écrivain. Ces lettres sont de magnifiques « brouillons » où le style de Jean Luc Lagarce se cherche, peu à peu se trouve. Du style potache désamorçant toute morgue devant une volonté de réussite à l’écriture plus affirmée, accouchée par le couple Attoun. Avec la même ironie, la même distance devant les événements, les mêmes blessures. On rit bien sûr beaucoup, au début. L’autodérision de Jean-Luc Lagarce est dévastatrice. Entendre son séjour berlinois provoque l’hilarité. Mais ce rire se fige peu à peu. L’émotion nous gagne devant le combat d’un écrivain avec lui-même, avec son œuvre et avec la maladie qui l’emportera à 38 ans. François Berreur intègre également un extrait d’une émission radiophonique de Lucien Attoun qui voit dialoguer Ionesco et notre jeune auteur. Influence revendiquée et qui éclatera avec la mise en scène de La Cantatrice Chauve. On suit ainsi les fils ténus des apports, des héritages avant que n’en s’affranchisse, souhait des Attoun, Jean-Luc Lagarce. François Berreur éclaire magistralement ce qui compose une œuvre entre la part intime et publique, entre le dit et le non dit. Ainsi la seconde partie de cette création, cette mise en espace, est tout simplement stupéfiante. Elle nous cloue littéralement. C’est un long entretien radiophonique encore une fois avec Lucien Attoun où Jean-Luc Lagarce se livre, se met à nu. La relation avec les Attoun, ce lien tissé indéfectible, non sans heurt parfois, permet une franchise brute et bouleversante. Sur son écriture, ses influences, sa maladie. L‘importance et le rôle de son journal, validant de façon posthume l’Ébauche d’un portrait. Jean-Luc Lagarce se révèle avec une simplicité désarmante. Lui qui ne croyait pas beaucoup au présent au théâtre est démenti par François Berreur. A la fin de cet entretien intervenait Christiane Cohendy. C’est Mireille Herbstmeyer – dont l’émotion était ce soir palpable- qui prend sa place. Qui joue son rôle. Comme Laurent Poitrenaux s’emparant du « personnage » Jean-Luc Lagarce. Ou le couple Attoun dématérialisé, nous n’entendons que leur voix. Idée forte, inscrivant ainsi Lagarce dans un présent théâtral. Drôle et troublant allers et retours entre fiction et réalité. François Berreur comme avec Ébauche d’un Portrait désamorce avec subtilité toute identification possible. Nous sommes dans le jeu théâtral. Une ambiguïté qui n’aurait peut être pas déplu à Jean-Luc Lagarce, lui-même transposant parfois son journal dans son œuvre. Christiane Cohendy,  donc, qui sans doute exprime le mieux ce que fut et est sans doute l’auteur Jean-Luc Lagarce « (…) Jean-Luc Lagarce est un vivant qui m’accompagne…Sur le chemin, difficile parfois et en tout cas bien trouble, de ma propre vie.(…) ».

 

Jean-Luc Lagarce : de fil en aiguille
Ébauche d’un portrait d’après le journal de Jean-Luc Lagarce
Correspondances et entretiens avec « Attoun et Attounette ».
Collage, mise en scène et mise en espace de François Berreur

Ebauche d’un portrait
(Edition les solitaires intempestifs)
D’après le journal de Jean-Luc Lagarce

Avec Laurent Poitrenaux

Assistant à la mise en scène  Lélio Plotton
Création son et vidéo  David Bichindaritz
Lumières  Bernard Guyollot

9, 10, 11, 16, 17, 18, 23, 24, 25, 30 octobre à 20h
12, 19, 26 octobre à 16h
15, 22, 29, 31 octobre à 19h

Correspondances et entretiens avec « Attoun et Attounette »
Correspondances de Jean-Luc Lagarce avec Dominique H, Micheline et Lucien Attoun
Entretiens avec Lucien Attoun et Jean-Luc Lagarce sur France Culture

Collage et mise en espace de François Berreur
Avec Laurent Poitrenaux
Les voix de Micheline et Lucien Attoun
Et la participation de Mireille Herbstmeyer

Lundis 14, 21 et 28 octobre à 20h
Mardi 15 et jeudi 31 octobre à 21h30
Samedis 19 et 26 octobre à 18h30

Les intégrales Ebauche d’un portrait et Correspondances et entretiens avec « Attoun et Attounette » ont lieu le mardi 15 octobre, les samedis 19 et 26 octobre et le jeudi 31 octobre.

Théâtre Ouvert
Centre national des dramaturgies contemporaines
Jardin d’Hiver
4 bis cité véron75018 Paris
Métro : Blanche – place de Clichy

Réservations  01 42 55 55 50
www.theatre-ouvert.net

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