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Critique • « En deuil / Trauerzeit » de Johan Leysen, au Théâtre des Bouffes du Nord

Juin 15, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • « En deuil / Trauerzeit » de Johan Leysen, au Théâtre des Bouffes du Nord

Critique Dominika Waszkiewicz

 

O mon Dieu, donne à chacun sa propre mort,

Donne à chacun la mort née de sa propre vie

Rilke

Johan Leysen ©Krijgt Fonske

Johan Leysen ©Krijgt Fonske

La Mélodie de l’amour et de la mort du cornette Christoph Rilke de Rainer Maria Rilke (1875-1926) est un poème en prose de 1904. Le poète y chante un subtil hommage à son ancêtre, porte-drapeau mort à 18 ans lors d’une bataille contre l’Empire ottoman. Il dessine, par des images vibrantes de vie, l’inévitable et constant embrassement de la vie et de la mort. En effet, c’est au moment où « celui de Langenau » découvre l’amour avec une comtesse hongroise que la mort vient le cueillir au sein des jardins bariolés formés par les visages menaçants des païens. La mort devient une fête où les sabres courbes composent une féérie aquatique et riante.

Loin d’une morbidité prévisible et morne, ce texte bref est bien plutôt un hymne à la vie. Et, dans la pudeur elliptique des mots, apparaît en filigrane la « mort-mère » rilkéenne, presque rassurante de tendresse.

L’artiste belge Johan Leysen a choisi ce poème pour nous parler de lui, de son deuil, de son père. Doucement, comme sur la pointe des pieds, il introduit dans sa création des bribes autobiographiques relayées par une comédienne, une chanteuse et quatre violoncelles.

« car le son de la mort veut monter plus haut »

En ce magique écrin de volutes ocre, en ces hauteurs insondables où montent et se déploient les inflexions élégiaques de Louise Wayman, grandit l’espoir du sublime. Et la délicate humilité des premiers instants qui voient Isabelle Ronayette entrer en poussant un curieux chariot, laisse présager le meilleur. La comédienne, sobrement vêtue de gris, installe des projecteurs et s’éclaire elle-même en nous délivrant les mots de Freud, de Simone Weil. Juste, la voix posée et forte, elle laisse flotter dans le silence des idées complexes et universelles qui ont le temps de faire leur chemin en nous. Pause fertile incitant au recueillement.

Mais, pendant que les autres protagonistes arrivent, chacun suivant un châssis de poussette surchargé, le silence devient long, pesant, maladroit parfois. Toute la modestie insufflée se métamorphose en incohérence bricolée. Entre les mots de Rilke ou de Johan Leysen, les notes des lieder envoûtants de Dominique Pauwels, les segments d’enfance projetés en super 8 sur un écran blanc et mobile, se dessine un kaléidoscope endeuillé de gris, camaïeu de fadeur où chacun joue sa partition à tour de rôle.

Notre avant-dernier mot
serait un mot de misère,
mais devant la conscience-mère
le tout dernier sera beau.

Extraits des Vergers de Rainer Maria Rilke, 1924-1925

 

En deuil / Trauerzeit
D’après « Le chant d’amour et de mort du Cornette Christophe Rilke » de Rainer Maria Rilke
Conception et mise en scène : Johan Leysen
Assisté de : Cécile Arthus
Composition et direction musicale : Dominique Pauwels
Scénographie : Hans Op de Beeck
Assisté de : Kurt Geraerts
Cinéaste: Laurence Rebouillon
Costumes: Anatoli Papadopoulou
Avec: Johan Leysen, Isabelle Ronayette, Soprano Louise Wayman, Ensemble Aton’&Armide (quatuor de violoncelles)

Durée : 1h20

Du 12 juin 2013 au 15 juin 2013

Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis, bd de La Chapelle, 75010 Paris
Tél. : +33 (1) 46 07 34 50
http://www.bouffesdunord.com

La Chapelle (ligne 2)
Gare du Nord (ligne 4, 5, RER B, RER D)

 

 

 

 

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