Critiques // Critique • « Ceux qui restent », Paul Felenbok et Wlodka Blit-Robertson, mise en scène de David Lescot

Critique • « Ceux qui restent », Paul Felenbok et Wlodka Blit-Robertson, mise en scène de David Lescot

Mar 07, 2014 | Aucun commentaire sur Critique • « Ceux qui restent », Paul Felenbok et Wlodka Blit-Robertson, mise en scène de David Lescot

ƒ critique Anna Grahm

Une page d’histoireCeux_qui_restent_r1-569x380

Deux enfants nés juifs, lui en 36 et elle en 31, en Pologne, se racontent. Ils se souviennent de leur enfance à Varsovie. Pour incarner cette parole, deux jeunes adultes, dans une mise en scène extrêmement dépouillée, vont tour à tour s’interviewer. À la question quel genre de juif étiez-vous il répond qu’est-ce qu’être juif, fait ricocher la question de l’identité, fait rebondir en silence l’interrogation sur l’antisémitisme d’hier qui revient aujourd’hui.

© DR

Il se souvient. Ils vivaient dans le ghetto. Des images surgissent. Des flashes. Shabbat. Souccot, la fête des cabanes. L’armée polonaise à cheval qui tirait des charrettes de munitions, des canons. Les chevaux morts dans la cour, une porte cochère collée par une explosion. Il se souvient de cette cachette dans laquelle toute la famille se réfugiait pendant les rafles et dans laquelle il n’avait pas le droit de pleurer. Il se souvient qu’il parlait polonais et que ses parents parlaient yiddish devant les enfants. Il se souvient de son père, fervent admirateur de Spinoza, le dit libre-penseur. Il se souvient de l’organisation socialiste et antisoviétique à laquelle appartenaient ses parents : le Bund. Mouvement de solidarité qui permit à quelques-uns de s’enfuir. Il se souvient du rétrécissement du ghetto, des conditions de vie qui se dégradaient, de l’entassement dans les appartements. Il revient sur sa fuite dans les égouts.

Elle aussi se souvient de ses parents, de sa tante Pola, de ses grands-parents. Et si elle non plus ne peut répondre à tout, elle sait que les enfants juifs n’étaient pas autorisés à aller à l’école. Parle des cours qu’on donnait à la maison. De sa sœur jumelle. De la panique du début de la guerre. Des masques à gaz qu’on leur a distribués. La petite fille se souvient des Allemands qui défilaient et des adultes qui regardaient. Elle sait que son père est parti vers l’est sans savoir exactement où. Qui peut dire, quand la guerre éclate, ce qu’on fait des enfants? Elle se souvient qu’ils devaient tous porter un brassard blanc avec une étoile bleue et qu’ils étaient chassés impitoyablement par les hooligans.

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Leurs souvenirs s’entrecroisent. Et les trajectoires, même si elles partent dans tous les sens, se ressemblent. Ils regrettent les « trous », livrent des détails. Maman qui courait, la cantine, la cour, le froid, l’hiver, la faim, les nombreux amis des parents. Elle se souvient des hurlements des soldats, la cave, la lampe à carbure. Elle avoue que c’était effrayant mais qu’elle trouvait ça normal. Ils n’étaient alors que des enfants, la peur, la mort rôdaient partout et leur problème n’était pas d’apprendre qui étaient morts, non le problème était de savoir si les gens étaient vivants.

Quand l’enfant sort du ghetto en 43, elle a 7 ans. Elle raconte comment trimballés, déplacés, hébergés de village en village, des enfants, séparés de leurs familles, ont réussi à survivre. Et ce qu’elle a traversé, et ce qu’il a vécu, semble parfois irréel tant leurs périples sont ahurissants.

David Lescot nous livre ici un formidable travail de mémoire. Un travail contre l’oubli. Il recueille les témoignages de Paul Felenbok et de Wlodka Blit-Robertson pour les porter à la connaissance du public. Sur la scène, il n’y a rien, rien que la parole. Les deux acteurs Marie Desgranges et Antoine Mathieu portent en eux cette mélancolie, cette fragilité et cette force qui les rendent extraordinairement justes, et cette justesse fait l’effet d’une loupe, nous fait toucher cette terrible réalité, nous fait découvrir tout ce que leur jeunesse d’alors n’a pu s’expliquer.

Au cœur du dispositif scénique, leur simplicité, leur tact, leur pudeur, ce que j’appellerais leur parler nu, nous projette dans les blessures de ces enfants, nous fait entr’apercevoir les terreurs de la guerre sur lesquelles ils se sont construits. L’histoire qu’ils ont subie plus que vécue, semble déjà si loin, et les témoins, « ceux qui restent » et qui ont survécu au Ghetto de Varsovie, sont si rares. Ici pas d’artifice, pas de pirouette, aucun effet, juste des gens assis qui racontent comment ils sont restés debout.

Ceux qui restent
De Paul Felenbok et Wlodka Blit-Robertson
Conception et mise en scène de David Lescot
Avec Marie Desgranges et Antoine Mathieu

Jusqu’ au 23 mars 2014
Les 5 – 6 – 7 – 8 – 19 – 20 – 21 – 22
Et les dimanches 9 et 23 à 17

Théâtre Monfort
Dans le cadre du festival des illusions
106 rue Brancion 75015 Paris
métro : porte de Vanves
Réservations 01 56 08 33 88

www.lemonfort.fr

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