Critiques // Critique. « Un chapeau de paille d’Italie » d’Eugène Labiche et Marc-Michel

Critique. « Un chapeau de paille d’Italie » d’Eugène Labiche et Marc-Michel

Nov 09, 2012 | Aucun commentaire sur Critique. « Un chapeau de paille d’Italie » d’Eugène Labiche et Marc-Michel

Critique de Djalila Dechache

Quoi de plus banal que cette petite histoire sans prétention, pourrait-on se demander ? C’est du vaudeville et le genre implique de la comédie avec ses ressorts, des situations amenant le comique, les quiproquos, les rebondissements, les péripéties, des personnages inattendus, l’ensemble dans un contexte de tromperie extra-conjugale, de double-vie, de mensonges qui sied tant à la bourgeoisie de l’époque. Comment sauver les apparences qui tout au long de la pièce, se fissurent, se dégradent ? Une question aussi vieille que le monde et toujours d’actualité, d’où le génie de Labiche qui a si bien compris ses semblables. Si cette société est dépeinte avec Feydeau plus tard, c’est qu’elle existe et si elle existe c’est qu’il faut y faire face en trouvant subterfuges, explications, pirouettes et intrigues. La pièce est connue, écrite par un Eugène Labiche (1815-1888) inspiré, créée en 1851 au Théâtre du Palais-Royal, elle est l’une des pièces les plus montées au théâtre et proposée à nouveau comme par enchantement au XXIème siècle, face à une Europe qui se cherche, qui se perd et qui tâtonne.

« Mon gendre, tout est rompu ».

C’est la phrase-couperet que Fadinard ne veut plus entendre qui va être dite un bon nombre de fois tout au long de la représentation. Le jour de son mariage, le frétillant Fadinard doit régler un problème bien épineux : restituer, en toute discrétion, le fameux chapeau de paille d’Italie, fait à Florence avec une paille très fine et garni de coquelicots, qui a fait le quatre heures de son propre cheval. Il se trouve que le couvre-chef appartient à une dame en plein rendez-vous galant avec son amant militaire, habillé d’un magnifique burnous bicolore, blanc et sable comme celui du Sahara. Scène on ne peut plus exotique du beau légionnaire attirant et plein de fougue, sur lequel Anaïs, femme de Beauperthuis et filleule de la Baronne se jette physiquement comme une affamée, au moment où la France en 1850 avait terminé sa colonisation de peuplement en Algérie. ll faut donc vite remplacer l’objet du délit avant que le mari de dame Beauperthuis non seulement est cocu, jaloux et est en plus violent. Le père de la mariée, le sieur Nonancourt, pépiniériste de son état, magnifiquement bien campé par un Christian Hecq survolté et hilarant, très juste du début à la fin, sûr de ses « bonnes » manières en société et tellement « plouc ». Il menace le brave Fadinard d’un « mon gendre, tout est rompu » dès que quelque chose ne va pas dans l’organisation de la noce. Tout va se mêler, s’emmêler, s’enchevêtrer, se réveler ce jour là précisément, comme pour la modiste, une ex de Fadinard partie chez elle à la recherche du chapeau, qui ne s’est pas remise d’avoir été plaquée, relance l’homme qui ne refuse pas pour autant pour arriver à ses fins.

« Le dévouement est la plus belle coiffure d’une femme ».

Par des chemins compliqués, Fadinard se retrouve d’abord chez la Baronnne de Champigny, fascinée par l’Italie, où c’est un pur bonheur de retrouver la charmante et trop discrète Danièle Lebrun, qui, en un seul léger mouvement de tête en dit plus long qu’une tirade monologuante.

Pour séduire la Baronne, femme distinguée aux toilettes compliquées comme il se doit, il lui lance la tirade qui la fait craquer. Et elle répond de manière si évasive une main au front au petit doigt levé, en Baronne, en somme : « Oui, sans doute« . Elle est vraiment drôle. Et lorqu’on croit qu’enfin tout est réglé, l’intrigue repart de plus belle : c’était une fausse alerte. Fadinard se retrouvera enfin chez un monsieur pour mettre la main sur ce fichu chapeau. A chaque fois la noce lui emboîte le pas avec force et fracas et il doit se justifier. Le rythme est soutenu, ça déménage par moments, avec la musique et les chansons accolées à l’action.

Ils sont 13 comédiens sur scène et cela fait une sacrée foule et un sacré boucan au moment de la noce. De belles trouvailles pleines de créativité du metteur en scène de théâtre et d’opéras, Giorgio Barberio Corsetti qui donne à l’ensemble un effet très visuel de facture cinématographique, comme la scène de la bagarre, au ralenti entre le beau-père et Fadinard où même le canapé reste incliné comme les corps. Ou encore l’usage très fin de l’aparté, avec la bonne durée et la bonne fréquence qui dit-il  » peut écraser les personnages (…) il faut veiller à garder une forme de fragilité, de profondeur qui rend compte de la dimension surréelle de la pièce« . Giorgio Barberio Corsetti doit vraiment aimer le cinéma et même certaines séries TV de science-fiction ne serait-ce que par le système « Optical » utilisé dans son décor d’une part et de l ‘autre, avec tous les clins d’oeil que l’on peut y retrouver soit par la musique soit par les décors et les costumes inspirés des années 70, avec toutes ces atmosphères créées par les nuances de bleu.

Mention spéciale à Elliot Jenicot-Achille de Rosalba, cousin de la Baronne qui a composé un personnage si drôle qu’il en a été applaudi, tant par les poses derrière le faux cadre, que les effets de jambes et de voix, à la fois rocker rétro et dandy décadent. Tous ont dû beaucoup s’amuser dans la réalisation de ce travail collégial.

Un chapeau de paille d’Italie d’Eugène Labiche et Marc-Michel
Scénographie : Giorgio Barberio Corsetti et Massimo Troncanetti
Assistante à la mise en scène : Raquel Silva
Avec :
Véronique Vella : Anaïs, femme de Beauperthuis
Coraly Zahonero : Clara, la modiste
Jérôme Pouly : Beauperthuis (en alternance)
Laurent Natrella : Emile Tavernier, lieutenant
Léonie Simaga : Virginie, bonne chez Beauperthuis
Nicolas Lormeau : Tardiveau, teneur de livres
Gilles David : Vézinet, sourd
Christian Hecq : Nonancourt, pépinieriste
Nâzim Boudjenah : Beauperthuis (en alternance)
Félicien Juttner : Bobin, neveu de Nonancourt
Pierre Niney : Fadinard, rentier
Adeline d’Hermy : Hélène, fille de Nonancourt
Danièle Lebrun : La Baronne de Champigny
Elliot Jenicot : Achille de Rosalba, jeune lion
Louis Arene : Félix, domestique de Fadinard
Les élèves -comédiens de la Comédie-Française : Laurent Cogez, Carine Goron, Lucas Hérault, Blaise Pettebone, Nelly Pulicani, Maxime Taffanel , la noce
Et les musiciens : Christophe Cravero violon, batterie, piano,Hervé Legeay guitares, Hervé Pouliquen guitares, basse, cavaquinho.

Équipe artistique :
Costumes : Renato Bianchi
Lumières : Fabrice Kebour
Musique originale, Direction musicale et Direction des chants : Hervé Legeay
Maquillages : Carole Anquetil
Assistante aux maquillages : Laurence Aué

Comédie Française
Salle Richelieu – Théâtre éphémère
Du 31 octobre 2012 au 07 janvier 2013
20h30 / 14H le dimanche et certains samedis
Durée du spectacle : 3h00 avec entracte

Place Colette
75001 Paris
Métro : Palais-Royal Musée du Louvre, Pyramides
Location 0825 10 1680
www.comediefrancaise.fr

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