Critiques // Critique. « Sallinger » de Bernard-Marie Koltès, mis en scène par Paul Desveaux

Critique. « Sallinger » de Bernard-Marie Koltès, mis en scène par Paul Desveaux

Nov 19, 2012 | Aucun commentaire sur Critique. « Sallinger » de Bernard-Marie Koltès, mis en scène par Paul Desveaux

ƒƒ Critique de Rachelle Dhéry

« J’ai sauté par la fenêtre pour toucher un autre être »- Le rouquin

Dans un new York fantasmagorique des années 60, le rouquin est mort. Il vient de se suicider. Carole, qui rêvait qu’un écrivain raconte son histoire, pleure l’homme qu’elle a aimé. Leslie, incarnant un cliché extrapolé du jeune américain-narcissique, exubérant, violent, armé et Ana, qui rêvait d’être une princesse-reine de la ville, ont perdu leur grand frère, Mâ et le père leur fils ainé, et c’est toute une famille qui, peu à peu, privée de sa béquille, s’effondre, emportée par la violence, la guerre du Vietnam et la décadence. Alors que le rouquin, tel un Dieu immortel qui avait tout compris depuis longtemps, revient hanter son jeune frère, se gaussant de le voir si désarmé face à la vie qui l’attend. Sallinger raconte entre autres les errances d’une jeunesse condamnée, l’incapacité des hommes à communiquer entre eux, coupés de tout contact, les travers de l’Amérique, le sordide de l’humanité (tous les hommes sont des rats, on ne les met pas en cage, ils choisissent eux-mêmes d’aller dans les égouts) avec en filigrane, un hommage éclatant de Bernard-Marie Koltès (1948-1989) à Jérôme-David Salinger (1919-2010), l’auteur de « L’attrape-cœur » (en anglais, The catcher in the rye). L’idée originelle vient du metteur en scène Bruno Boëglin, qui en 1977, invita Bernard-marie Koltès à suivre un travail d’acteurs inspiré du romancier américain.

« La seule supériorité que l’on a sur les autres, les ignares, c’est le pouvoir de dérapage. »- Le rouquin

Côté scénographie, tous les espaces sont utilisés. Verticaux comme horizontaux. Scène et public. Hors-champs parfois. Comme si l’histoire ne pouvait se contenter d’un unique plateau. Sans doute pour souligner les effets de perspective, ces différentes couches narratives inhérentes au texte lui-même et à ses personnages complexes. À jardin, la voiture d’un Henri ghettoïsé, souligné par un excellent rap, à cour, un container transparent ou opaque renfermant le cercueil du rouquin, et au dessus duquel s’exprime sa veuve éplorée, au fond de la scène, la porte d’un entrepôt qui s’ouvre et laisse place à l’évocation d’un salon américain. Et lorsque Leslie est appelé au combat, le sol se jonche de cadavres de bières, comme des centaines de corps abandonnés. La musique jazz, omniprésente, évoque tout autant les salons enfumés aux corps agglutinés, que l’aspect irréel de l’histoire. Comme un rappel que nous sommes bien au théâtre.

« J’aime la belle langue (Marivaux) et j’aime l’armée américaine »- Le père

Fidèle à l’auteur, Paul Desvaux dirige ses acteurs vers l’instabilité, le déséquilibre à outrance. Écorchés vifs, les personnages, à fleur de peau, sont enfermés chacun dans leur propre tragédie en marche, de soliloques caustiques en monologues déchirants, ils sont tous le fruit du deuil du fils, du frère, de l’amant, les victimes d’une ancienne guerre et d’une autre naissante au Vietnam, de la décadence et de la déchéance humaines, ils sont tous le fruit de la violence de l’univers de B-M Koltès. Sallinger s’annonce comme un condensé des thèmes fétiches de l’auteur, de ses personnages atypiques, enfermés dans la solitude, des relations fraternelles et amoureuses fortes, profondes et destructrices.

« Les femmes rêvent de fuir et les hommes le font. »- Ana

Mais ce qui fait le « plus » de cette mise en scène, ce n’est pas le déploiement à mon sens inutile d’effets scénographiques, cela tient surtout aux acteurs-mêmes. Pour la plupart originaires de Buenos-Aires, leur côté latino renforce toute la fougue nécessaire aux personnages imaginés par l’auteur. La langue espagnole tend à souligner leur côté sanguin et survolté. Et c’est plutôt une belle expérience, si on ne cherche pas à tout comprendre du texte (rendu difficile par la vitesse de déclamation et les surtitres qui ne suivent pas toujours). Une mention particulière pour Céline Bodis qui incarne une veuve à la fois femme fatale touchante et pathétique, rappelant par moment les grandes figures féminines d’Almodovar et à Lucrecia Capello, incarnation de la mère parfaite, comme déconnectée de la réalité du drame, et formidable conteuse. Par contre, Javier Lorenzo, interprète sans nuance, et avec beaucoup trop de force virile, un rouquin qui, me semble-t-il, gagnerait en émotion, en intensité, dans un corps plus fragile et qui tirerait son pouvoir, sa force, non de son apparence, mais de son attitude.

« En temps de paix, c’est bizarre qu’ont ait accouchés d’enfants si pâles et si nerveux, pas du tout préparés à la guerre qui se prépare. Peut-être qu’on n’aurait pas dû les faire du tout. Sans doute, c’était une mauvaise idée. »- Le père

Sallinger
De Bernard-Marie Koltès
Mis en scène par Paul Desveaux
Création française
Un projet de Paul Desveaux et Céline Bodis en espagnol surtitré en français
Traduction en espagnol Violeta Weinschelbaum
Avec Céline Bodis, Lucrecia Capello, Roberto Castro, Luciana Lifschitz, Javier Lorenzo, Franscico Lumerman, Anita Pauls et Martín Slipack
Costumes Julio Suárez
Lumières Gonzalo Córdova
Musique Vincent Artaud
Assistante à la mise en scène et interprète Amaya Lainez
Seconde assistante à la mise en scène Mariana Cecchini
À partir de 15 ans

Jusqu’au 24 novembre – Mardi et vendredi à 20h30 – Mercredi, jeudi et samedi à 19h30 – le dimanche à 16h

Théâtre 71
3, Place du 11 novembre 92240 malakoff –
Réservation 01 55 48 91 00
Métro : malakoff-Plateau de Vanves
www.theatre71.com

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