Critiques // Critique. « La Barque le soir » de Tarjei Vesaas, mise en scène Claude Régy aux Ateliers Berthier – Théâtre de l’Odéon

Critique. « La Barque le soir » de Tarjei Vesaas, mise en scène Claude Régy aux Ateliers Berthier – Théâtre de l’Odéon

Oct 06, 2012 | Aucun commentaire sur Critique. « La Barque le soir » de Tarjei Vesaas, mise en scène Claude Régy aux Ateliers Berthier – Théâtre de l’Odéon

Critique de Bruno Deslot

©DR

Dérive elliptique dans le silence éloquent d’un départ vers l’inconnu…

Déjà 88 ans et Claude Régy a toujours le goût de porter à la scène des textes poétiques d’une grande exigence comme ceux de Pessoa ou de Vesaas dont il avait déjà monté Brume de Dieu d’après Les Oiseaux en 2011 à la Ménagerie de Verre.

« Vous entrez dans l’antichambre du spectacle. Le silence est requis. » L’affichette figurant sur la porte d’entrée de la petite salle des Ateliers Berthier indique qu’il s’agit d’abandonner, de se délester de la pollution sonore nous façonnant pour mieux retrouver ce que le silence ne dit pas ou au contraire, tout ce qu’il draine lorsque l’on accepte de l’écouter. Un retour au calme s’impose pour mieux entrer dans la proposition. Quelques quintes de toux, bruits de sacs se fermant, éternels retardataires…Claude Régy fait durer ce temps afin que chacun s’émancipe des brouillages sonores de la ville…le silence s’impose de lui-même.

Comme né de la nuit, le visage hiératique de Yann Boudaud apparaît dans l’ombre improbable composée par les lueurs de Rémi Godfroy et plonge la silhouette du comédien dans une énigme. Le visage presque cadavérique, le regard flottant, un calme quasi hypnotique, face public, Yann Boudaud, impose une apparition muette. La bouche à demi ouverte, tendue, prête à expulser quelques mots qui feront une phrase au bout du compte. Puis cela commence, un à un les mots sont savamment dit, exprimés selon une palette colorée d’expressions propres aux nécessités de la mise en scène de C.Régy, toujours d’une extrême exigence, d’une parfaite intelligence. Le voyage s’annonce aussi long que douloureux. Les mots du texte de Vesaas sont lâchés lentement, entre profération et confession, douleur et apaisement. Une barque est à la dérive un soir et l’on entend la voix d’une mort profonde, silencieuse surtout et comme un écho à la vie.

Le visage de Yann Boudaud se fige, se soumet aux exigences de la mise en scène avec une précision d’exception mettant en perspective toutes les subtilités du texte de Vesaas. Seul sur une longue scène blanche de forme rectangulaire et peu profonde, dos à lui un tulle fin derrière lequel on aperçoit un rideau rouge, compose tantôt les vases menaçantes de la dérive, tantôt une sculpture au formes indéfinissables. Scénographie minimaliste pour un texte et une mise en scène de maître, le spectacle est d’une grande exigence, il se mérite et demande une grande concentration pour accepter de ressentir ce déchaînement de forces qui s’opposent à cet homme en proie à la mort. La barque est sa seule et étrange navigation, il vit un moment unique, ce que personne ne sait.

La Barque le soir est le dernier livre en prose de Vesaas, composé de seize textes. C.Régy s’est intéressé au cinquième texte, Voguer parmi les miroirs, d’où le titre implicite de la création. Difficile de donner un âge au personnage de la création, mais on retient son visage tordu et indéfinissable ! Ce n’est pas une bête de foire mais un homme laissant derrière lui d’énormes souffrances et de terribles défaites. Alors, regarder l’eau pendant que son inconscient lui dit « viens », c’est tentant ! La noyade est en cours. Demi-mourant, demi-mort, flottant parmi les troncs, des charognards rodent ! Un chien aboie sur la rive et l’homme renaît au langage en aboyant !

Une écriture toujours en mouvement pour dire ce que l’on ne saura sans doute jamais, permet à C.Régy de nous la faire entendre par le corps noueux de Yann Boudaud avant que les corps d’Olivier Bonnefoix et Nichan Moumdjian ne viennent l’accoster de leurs bras. En acceptant d’entrer dans cette proposition particulière, on redécouvre le plaisir du texte et la nécessité absolue du ou des silences au théâtre. Le théâtre de Claude Régy est du grand art.

La Barque le soir
De Tarjei Vesaas
Mise en scène Claude Régy
Traduction : Régis Boyer
Scénographie : Sallahdyn Khatir
Lumière : Rémi Godfroy
Son : Philippe Cachia
Avec : Yann Boudaud, Olivier Bonnefoy, Nichan Moumdjian
Du 27 septembre au 3 novembre 2012
Aux Ateliers Berthier (petite salle)
1 rue André Suarès
75017 Paris

réservation : 01 44 85 40 40
www.theatre-odeon.fr

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