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Critique • Vortex de et par Phia Ménard au Monfort

Mai 28, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • Vortex de et par Phia Ménard au Monfort

ƒƒƒ Critique Anna Grahm

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 © Jean-Luc Beaujault

Mues

Dansle cercle scénique bordé de ventilateurs, se tient un personnage énorme et inquiétant, un personnage entre l’homme invisible et le bonhomme Michelin, vêtu d’un costume,lunettes noires, une espèce de personnage monstrueux bardé de bandages qui masquent son visage et ses mains. Il est agenouillé sur le sol et s’applique à découper consciencieusement un bout de plastique rose. On dirait des bouts de chair. Dès le premier tableau, cet homme, par sa taille impressionnante, son petit rouleau de scotch et sa paire de ciseaux, installe une étrangeté, un malaise diffus. Et soudain, il lâche ce qu’il s’acharnait à crucifier, soudain il le libère, soudain il laisse aller le sac, vous savez ce petit sac qu’on vous vend dans les supermarchés pour quelques centimes et qu’on retrouve sur le bord des routes, abandonné, que les branches attrapent, que les clôtures piègent parfois, qui pollue, défigure notre environnement, hé bien soudain ce petit sac rose s’est mis debout sur ses jambes, il s’est mis à danser, l’air lui a donné vie. Oui tout à coup ce bout de plastique devient vivant, gracieux, capricieux, il va et vient, se trémousse, libre comme l’air. Soudain ce simple morceau de plastique a des bras, une tête, un corps, il devient malin, malicieux, un drôle d’être tout àfait délicieux tant il est délicat. Et nous redevenons des enfants, médusés.

Mais celui qui a créé cet avatar n’a pas fini de nous étonner, il tire de sa poitrine d’autres emballages de différentes couleurs qui deviennent à leur tour tout aussi dansants, charmants, bientôt il y a un monde fou qui n’appartient pas au genre humain qui envahit la petite scène, un monde léger et raffiné, tout un tas de petits lutins adorables qui font preuve d’une élégance, d’une joie de vivre ahurissante. Nous sommes conquis, ébahis.Et la mue continue, s’achève et reprend au prix de luttes acharnées, la mue s’opère par soubresauts, libère lentement celui qui suffoque sous nos yeux, qui se meut si difficilement. Sous notre regard éberlué, le personnage statufié du début délie notre imaginaire, se défait de ce qui le fige, se détache, tableau après tableau de ses multiples peaux. Nous assistons à une renaissance, dans l’arène gorgée d’air, s’invente une poésie sans parole, sur la musique de Debussy, nous percevons le chant d’un être qui se réconcilie avec lui-même.

 

Dans l’œil du cyclone

Le Vortex est un vent tourbillonnant, une dépression atmosphérique, qui, ici, nous téléporte loin des tabous. Les éléments habituellement inertes, manipulés par l’air, soulèvent et nos têtes et nos questionnements sur les transformations à l’œuvre dans nos sociétés. Les métamorphoses successives qui ont lieu déplacent notre raisonnement, interrogent les changements du monde, remettent au centre de nos réflexions l’importance de la singularité de chacun. Ce spectacle réveille notre émerveillement, nous révèle les oripeaux de nos multiples déguisements, nous permet d’appréhender nos différentes identités, celles auxquelles nous nous limitons et toutes celles auxquelles nous craignons de nous frotter. Il nous met en relation avec nos imperceptibles oscillations, interpelle le devenir de nos comportements, transfigure notre rapport au quotidien, nous projette dans l’humanité en constante évolution. Le spectacle nous permet ce saut dans l’inconnu.

Le combat titanesque que livre Phia Menard nous raconte à la fois l’histoire de sa vie et celle de notre société en pleine mutation. Les images féériques faites à partir de presque rien sont un pur enchantement que la violence brise comme pour nous rappeler par exemple l’existence des ‘continents plastiques’, cette soupe de déchets qui envahit nos océans. La force du spectacle est telle qu’elle régénère nos états d’âmes apathiques, revitalise nos esprits ankylosés, remplace nos humeurs chagrines par des doses massives de rêves. Et par les temps qui courent, cette proposition artistique hors norme est une véritable bouffée d’utopie. Vous sortez de cette expérience, remués, émus, plus aériens, plus lyriques et sans aucun doute un tout petit peu moins formatés.

 

Vortex
Direction artistique, chorégraphie, scénographie & interprétation Phia Ménard
Dramaturgie Jean-Luc Beaujault
Composition et diffusion des bandes sonores Ivan Roussel
d’après l’oeuvre de Claude Debussy
Création et régie lumière Alice Ruest
Conception de la scénographie Phia Ménard
Costumes et accessoires Fabrice Ilia Leroy
 
Jusqu’ au 08 juin – Du mardi au samedi à 20h30
 
Théâtre Monfort
106 rue Briançon 75015 Paris
Métro : Porte de Vanves
Réservation : 01 56 08 33 88
www.lemonfort.fr

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