Critiques // Critique . Un compte rendu pour une académie de Franz Kafka de Jack Garfein

Critique . Un compte rendu pour une académie de Franz Kafka de Jack Garfein

Mai 06, 2013 | Aucun commentaire sur Critique . Un compte rendu pour une académie de Franz Kafka de Jack Garfein

Critique Anna Grahm

kafka1© David Jacques

‘La force ne peut pas détruire le sensible’ Jack Garfein

Son squelette dessiné, annoté, décrypté os par os tapisse le mur du fond. À l’avant scène sur un chevalet, trônent les portraits de l’homme et du singe, les visages se superposent, l’un chasse l’autre, les deux se fondent en un seul et même être, les peintures qui s’exposent parlent du trajet de la métamorphose. Jack Garfein adapte une nouvelle de Kafka qui raconte comment un singe est devenu un homme. L’histoire écrite en 1917, fut peut-être, sans doute inspirée par la terrible saignée de 14-18. Mais quand Jack Garfein, lui-même rescapé du camp d’Auschwitz, s’en empare,la vision de Kafka prend une toute autre ampleur.Sur le plateau, une vieille table, la planche anatomique d’un grand singe. Quand un metteur en scène a connu l’abus de pouvoir, le sadisme, l’horreur d’être traité comme une bête, la lecture du travail se densifie. Aussi, lorsque le personnage, un homme en frac, très élégant, vient rendre compte de la perte de sa nature animale, lorsqu’il vient témoigner de sa tentative de devenir humain, la question souterraine qui traverse le spectacle, devient lancinante : qu’est-ce qui nous définit comme humain. L’idée de la supériorité de l’homme sur son environnement se re-déploie au fil du récit.

Aristote explique que ce qui rend l’humain supérieur c’est la raison, c’est-à-dire la faculté d’agir dans un but déterminé. Cet homme-là dit à son auditoire, (auditoire qu’on ne voit pas), qu’il cherchait une issue, une issue à la mort, et pour survivre, il n’a pas eu d’autres choix que d’adopter le mode de vie des humains. Tout le long de sa conférence, il explique que dans sa vie antérieure de singe, il cherchait désespérément une liberté de mouvement, pas la Liberté, non, mais une échappatoire aux humiliations qu’il subissait. Alors il donne le change, il imite les marins qui viennent l’observer dans sa cage, il apprend à boire de la gnole à la bouteille même si l’alcool le dégoute, il observe et fait en sorte de ressembler à ses geôliers, jusqu’à se faire accepter d’eux.

L’être humain pour se distinguer, classe, oppose l’humanité à l’animalité, d’un côté il range la bestialité, les instincts primaires et de l’autre, la morale, l’intelligence, la conscience la culture, bref tout ce qu’il y a de noble et d’élevé. Celui qui fait son exposé revit son désarroi, parfois plonge sous la table et soudain, fracture l’image de l’homme qu’il a réussi à devenir, et l’on a le sentiment déroutant de revoir le grand singe qu’il dit avoir été quelques années plus tôt.

L’acteur Érik Stouvenakerreste très sobre, rend par bribes ce silence déchirant de l’animal face aux abominations humaines et son jeu ‘par petites touches’ nous ramène à notre incapacité de penser le monde des animaux. Il réveille nos contradictions, Lévi-Strauss parle de ‘mythe de la dignité exclusive de la nature humaine’, le comportement de l’acteur trouble, met en lumière le nôtre, notre façon de raisonner, Lévi-Strauss parle de « cercle maudit, frontière constamment reculée qui servirait à écarter des hommes d’autres hommes ».

Derrière le visage de Pierre le rouge, surgissent parfois les traits d’un être qu’on a torturé, pointe sa lassitude, son regret d’avoir oublié son instinct, sous l’homme qu’il incarne aujourd’hui, restent les traces ineffaçables de l’exploitation indigne, de l’inhumanité, pour celui qui a fait tomber la veste pour raconter son histoire, il s’agit de nous rappeler à notre responsabilité, il s’agit aussi peut-être de nous rappeler que d’autres mondes vivants non humain peuplent notre terre, et que l’être humain est un animal comme les autres.

Un compte rendu pour une académie de Franz Kafka
Adaptation et mise en scène de Jack Garfein
Avec Érik Stouvenaker, HassamGhancy
Scénographie Rodolfo Natale

Jusqu’au au 25 mai à 21h – Le dimanche à 15h30

Théâtre des Mathurins
36 rue des mathurins 75008 Paris
Métro : Auber
Réservation au 01 42 65 90 00
www.theatredesmathurins.com

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