Critiques // Critique. « Riviera » au Petit Montparnasse

Critique. « Riviera » au Petit Montparnasse

Jan 29, 2013 | Aucun commentaire sur Critique. « Riviera » au Petit Montparnasse

ƒ critique Denis Sanglard

RIVIERA

© MANUEL PASCUAL

On a tout dit, tout écrit sur Fréhel. De sa gloire à sa déchéance, de son alcoolisme et son addiction à la cocaïne, de ses amours malheureuses…

Marguerite Boulc’h, qui débuta sous le nom de Pervenche, longue liane rousse devenue Fréhel cette femme empâtée, vieillie prématurément. Qui se souvient dans Pépé le Moko, film de Duvivierde cette apparition foudroyante chantant « Où est il donc ? » avec cette façon bien à elle de foutre ses tripes à l’air. Tania, c’était Fréhel. Fréhel l’écorchée morte dans une chambre minable d’un hôtel de passe de Montmartre après avoir traversé crânement le tout Paris des années qui précédèrent la grande guerre, de s’être exilée en Russie, prostituée en Turquie et de revenir au mitan des années folles méconnaissable, laide, abrutie d’alcool et de coco. Oubliée. « L’inoubliable oubliée » ainsi la présente-t-on pour son retour au music hall. De quoi alimenter les chromos à faire pleurer dans les chaumières. Il suffit pourtant et d’écouter ses enregistrements. Sa voix porte le poids de cette vie en charpie. Ce n’est pas son cœur qu’elle met à nu, c’est son âme cabossée, violée, embrumée. Pas de pathos, non. Pas le genre. Fréhel la poissarde ne provoque pas la pitié. Pas la distinction de Damia « la tragédienne de la chanson ». C’est brut de coffre. « Fermez vos gueule, j’ouvre la mienne » hurlait elle à son public. Public inconstant aussi infidèle que furent ses amants et qui lui préféra au bout du compte Lucienne Delyle et la môme Piaf.

« Où sont tous mes amants ? »

Le grand amour, la grande affaire de Fréhel ce fut Maurice Chevalier. Qui se tournera au final, en bon opportuniste, vers Mistinguett. Cette rupture ravagea celle qui n’était encore que Pervenche. Riviera ce sont les derniers jours de Fréhel. Dans son délire, au bout de ses nuits passées à boire dans les bouges, elle attend que Maurice l’emmène sur la Riviera comme il lui avait promis. À Paulette à qui elle donne quelques cours de chant elle dévide sa vie. Ce qu’elle fut avant Maurice Chevalier, ce qu’elle fut après.

Fréhel, c’est Myriam Boyer. Qui porte à elle seule, superbement, cette création. L’interprétation est toute en finesse mais sans doute manque-t-elle de raucité. Il y a quelque chose de trop net, d’impeccable qu’on ne peut certes reprocher mais qui donne une impression paradoxale. C’est touchant, c’est juste, mais justement, ça n’est que ça.  C’est peu pour un monstre comme l’était Fréhel. Clément Rouault à qui échoit le rôle de Maurice Chevalier donne la nette impression de « jouer ». Il semble porter des habits trop grands pour lui et très vite frôle la caricature, loin de la stature, du charisme de son personnage. Laure Vallès, Paulette s’acquitte fort honorablement de son rôle d’utilité qui consiste à relancer le dialogue à Fréhel. Elle crée certes un joli personnage mais elle n’a guère la possibilité de faire plus. Pas de différence avec Paulo, le poisson rouge à qui au début s’adresse Fréhel. Cela sent le procédé, l’artifice dramaturgique et c’est dommage. Le texte d’Emmanuel Robert-Espalieu laisse voir les coutures, les ficelles, n’avance guère, tourne très vite en rond. Et surtout use des clichés habituels sur Fréhel, reste au bord d’une vie sans la pénétrer vraiment. Formaté et sans aspérité, c’est à tout le moins convenu. On aurait aimé un point de vue. L’élégance froide de la mise en scène de Gérard Gelas participe de cette impression de décalage. L’impression de ne pas vouloir toucher à une icône méconnue aujourd’hui. Reste une formidable prestation d’actrice.

Riviera
D’Emmanuel Robert-Espalieu
Mise en scène: Gérard Gelas
Assistant: Arny Berry

Avec Myriam Boyer, Clément Rouault, Laure Vallès

Décors: Jean-Michel Adam
Costumes: Christine Gras
Création son: Jean-Pierre Chalon
Création Lumières: Gérard Gelas
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h.

Théâtre Le Petit Montparnasse
31, rue de la gaîté
75014 Paris
Métro : Montparnasse – Bienvenüe – Gaîté – Edgar Quinet

Réservation: 01 43 22 77 74
http://www.theatremontparnasse.com

 

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